Les émissions mondiales de CO2 fossile depuis 1970 : un monde en profonde évolution
L'évolution par région des émissions de CO2 fossile depuis 1970 est le témoin de la profonde évolution économique que le monde a connu depuis 1970. Les ordres de grandeur des émissions par région et par habitant ont été bouleversés depuis 1970 et notamment depuis 1990, date à laquelle le protocole de Kyoto a été négocié. Ce changement s'amplifiera à l'avenir.
L'Annexe I : un critère hérité du passé
La fameuse annexe 1 regroupe les pays qui se sont engagés en 1990 avec des objectifs contraignants de réduction d'émission. Elle regroupait la plupart des pays anciennement industrialisés qui a l'époque représentaient le double des émissions de tous les autres pays réunis. Il était logique alors qu'ils s'engagent seuls dans des objectifs de réduction, étant les plus émetteurs mais aussi de loin les plus riches. Mais aujourd'hui le monde a changé. Ces pays ne représentent plus que 80% des émissions. En 2020 ils n'en représenteront plus que la moitié et en 2035 le quart, si les objectifs sont respectés. Quant à la Chine, elle émettra à elle seule deux fois plus que les Etat-Unis et l'Union Européenne réunis. Ce qui fait que les efforts des seuls pays de l'annexe I seront très nettement insufissant si l'on veut limiter la hausse des températures.
Il est donc indispensable que dans le futur l'ensemble des pays s'engage sur un accord chacun selon ses moyens, en tenant compte des émissions par habitant et de l'évolution des techniques. Limiter les efforts aux pays anciennement industrialisés sera inefficace, non seulement parce qu'ils ne représenteront plus que le tiers (2020) ou le cinquième (2035) des émissions mondiales, mais aussi parce que cela encouragera le transfert des industries émettrice là où le prix du carbone émis sera le moins cher, dans le cas où il n'existe pas de compensation aux frontières pour d'éventuelles taxes sur le carbone ou pour les contraintes environnementales pesant sur les entreprises (1).
Des mesures sont absolument nécessaires : la trajectoire actuelle est bien pire que ce qu'avaient imaginé les scientifiques il y a quelques années.
Stagnation en Amérique du Nord et en Europe, montée en flèche de l'Asie
La courbe par continents montre à quel point les émissions de la zone Asie montent en flèche et accélèrent tandis que les émissions de l'Europe ont tendance à diminuer. L'Asie représente deux fois les émissions de l'Europe ou de l'Amérique du Nord.
Bien entendu, il faut considérer les émissions par habitant, ainsi que les spécialisations économiques. Mais justement les émissions par habitant de l'Asie vont bientôt rejoindre celles de l'Europe (graphique ci-dessous). Comme l'Asie joue le rôle d'usine du monde elle émet logiquement plus de CO2 fossile et on peut alors considérer que les autres pays transferent leurs émissions dans cette zone. Mais ce n'est pas pour autant une excuse, car refuser des objectifs de limitation permet à cette zone de baisser le coût du carbone et donc de capter d'autant mieux un marché industriel lucratif.
Engagements Internationaux : considérer le monde tel qu'il est et tel qu'il sera
Emissions par habitant : le bonnet d'âne pour l'Amérique du Nord
Les Etats-Unis et le Canada conservent le bonnet d'âne en ce qui concerne les émissions de CO2 par habitant. Chaque Américain ou Canadien émet deux fois plus de CO2, à niveau de vie comparable, que les Européens.
Le Japon et l'Europe des 27 ont un taux semblable, en légère baisse.
Le taux d'émission des pays du Moyen-Orient est supérieur à celui des Européens. Celui de la Chine a considérablement augmenté. Il ne représente plus que les deux tiers du niveau européen et en rythme tendanciel, le taux d'émission par habitant de la Chine rattrapera celui de l'Europe des 27 dans quelques années.
Les émissions par habitant de l'Asie hors Chine / Japon, de l'Afrique et de l'Amérique Centrale ou du Sud restent très faibles. Rappelons que nous ne tenons pas compte dans ce calcul, faute de sources fiables, des émissions dues à la déforestation ou au secteur agricole, qui jouent pourtant un rôle important.
L'Amérique du Nord et les grands émergeants appelés à prendre leurs responsabilités
La quantité de GES par habitant pourrait constituer un des critères d'attribution pour les efforts à fournir. D'après lui, L'Amérique du Nord se comporte en véritable gaspilleur, tandis que le Japon, l'Europe des 27 et le Moyen-Orient ont un taux par habitant comparable et plus élevé que la moyenne. Or ce taux sera bientôt rattrapé par la Chine.
Ainsi les Nord-Américains devraient prendre leur responsabilité pleine et entière tandis que la Chine et le Moyen-Orient ne peuvent plus utiliser ce critère pour se détourner de leurs responsabilités. Quant à la responsabilité historique que brandit la Chine, qui conforte un sentiment de culpabilité que possèdent de nombeux européens, il est discutable. Tout d'abord parce qu'il y a un demi-siècle les émetteurs de CO2 n'étaient pas au courant du problème. De plus ils ne disposaient pas des mêmes techniques de production qu'aujourd'hui. Par contre ceux qui émettent aujourd'hui le font en connaissance de cause et pourraient souvent utiliser des techniques moins émettrices mais plus chères. Par ailleurs et surtout, la quantité émise aujourd'hui est nettement plus élevée qu'il y a cinquante ans. Ainsi le cumul historique depuis 1970 des pays non annexe I dépassera en 2035 celui des pays anciennement industrialisés (voir émissions historiques de CO2 fossile). Or c'est justement le cumul historique qu'il faut prendre en considération si l'on ne veut pas dépasser 2°C de réchauffement global.
Chacun doit prendre ses responsabilités en regardant le monde tel qu'il est et tel qu'il sera, et non tel qu'il a été.
Note :
(1) Rappelons que le principe d'une compensation aux frontière ne doit pas être confondu avec du protectionisme, comme on le fait trop souvent. C'est une question d'équité devant les coûts et d'égalité devant les règles commerciales. Ce principe est autorisé par les règles de l'OMC, au même titre que la compensation de la TVA.
Remarque : Nous n'indiquons ici que les émissions dues aux combustibles fossiles. Pour connaître les émissions totales de gaz à effet de serre il faut ajouter les émissions issues de process industriels tels que ceux utilisés par les cimenteries ou la climatisation, ou issues de la déforestation et des pratiques agricoles. Mais les chiffres globaux sont difficiles à obtenir. Le site d'agrégation de données du World Ressource Institute (CAIT) a été victime d'une attaque informatique et sa base de données a été détruite. Les émissions de CO2 fossiles (énergie) donnent une bonne image des émissions dues à l'activité économique. Les émissions dues à la déforestation sont importantes mais stables, donc leur part dans le total diminue.
* Données
- Agence Internationale de L'Energie, Emissions de CO2 par combustion de carburants fossiles 2012, fichier xls
- Autres données GES : CCNUCC
- Objectifs déclarés au CNUCC par les pays de l'annexe I
- Objectifs déclarés au CNNUCC par les pays hors annexe I
- Etude prospective sur les scénarios d'émission de la Chine
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