Dans la World Conservation Strategy publié en 1980 on voit apparaître pour la première fois l’expression « développement durable ». L’essentiel des notions fondatrices du concept y est développé. Le texte d’introduction pose avec force un concept d'avenir : conjuguer protection de la nature et développement humain.
Conservation de la nature et développement humain
Ce rapport avait pour but d’élaborer une stratégie pour la protection de l’environnement. Loin de se contenter de promouvoir la protection de la nature, il contribue de manière décisive à un changement de paradigme : il n’est plus question de penser la sauvegarde de l’environnement en opposition avec les populations qui y vivent. Le texte insiste sur ce point : certes dans le passé certains protecteurs de l’environnement ont pu faire croire le contraire. En réalité la protection de l’environnement ne peut qu’aller de pair avec le développement social et économique.
La nature ne doit pas être considérée comme un sanctuaire figé. Tout développement – y compris celui des hommes - est un processus naturel qui implique nécessairement des changements dans l’environnement. La nature n'est pas un musée immuable et elle peut évoluer avec le développement des sociétés. Elle ne doit pas, en particulier dans les pays en développement, être mise sous une cloche à l'écart des populations.
Cela signifie que l'évolution humaine fait partie de la nature, avec les changement dans l'environnement que cela implique. Mais ces changements ne doivent pas empêcher le développement futur des populations.
Une vision humaine
La World Conservation Strategy pense la conservation au service des hommes et du développement humain. On ne trouve nulle part dans le texte d'introduction, qui pose le concept, le mot « nature » ou l’idée de « wilderness ». Nous sommes aux antipodes de l'écologie profonde.
Excepté pour désigner l'activité humaine. Car celle-ci fait partie d’un processus naturel : l’homme est un produit de la nature, dont la nature est de se développer. Ainsi la seule fois où le mot nature apparait, il désigne paradoxalement la technique humaine. L’environnement est vu comme une ressource permettant de satisfaire les besoins humains. Le texte anglais n’utilise que les mots « living ressources conservation » pour désigner ce que nous appellons en français protection ou sauvegarde de l’environnement. Le mot environnement désigne ce qui entoure l’homme.
Anthropocentrique ? Tout à fait. Celui-ci est pleinement assumé car la démarche est humaniste, en opposition avec une sanctuarisation de la nature qui mettrait l'être humain à coté.
Le terme anglais « conservation» ne doit pas tromper le lecteur français. Il désigne un processus dynamique. « Conserver », c'est préserver les processus évolutifs de la biosphère qui permettent le développement humain.
Un monde intégré
Le texte réduit volontairement la biosphère à une ressource. C'est un utilitarisme, mais un utilitarisme bien compris qui entend accorder les intérêts de tous, y compris des générations futures. On comprend que le texte entend se démarquer d’une écologie qui mettrait la nature à l'écart des hommes.
Il met l’accent sur la profonde intégration de l’homme dans la nature. Son développement, même lorsqu'il utilise des techniques sophistiquée, fait partie de la nature et en même temps ne peut se faire sans la sauvegarde de cette nature.
La boite à outil du développement durable
On trouve dans le texte l’essentiel des caractéristiques du développement durable. Le mot « sustainable », courant en anglais, était déjà fréquemment employé, surtout dans le cadre d’une réflexion qui depuis les années 70 refusait une vision strictement économique du développement. Il serait intéressant de comprendre cette évolution.
Il définit le développement durable comme un développement social et économique qui doit se faire en sauvegardant l’environnement, et dont le but est de permettre aux populations présentes ainsi qu’aux générations futures, de satisfaire leurs besoins et leurs aspirations. Il met l’accent sur la finitude des ressources. Mais cette finitude n’est pas incompatible avec un développement. Il insiste sur la nécessité de contribuer au sutainable development des régions les plus pauvres, qui ne pourra se faire que dans un environnement préservé.
L’environnement et le développement économique et social ne sont pas des objectifs contradictoires. Au contraire ils se renforcent mutuellement. Il affirme la nécessité de conjuguer le court et le moyen terme, la nécessité d’une gouvernance mondiale et du co-développement et insiste sur la participation des citoyens aux décisions. Il appelle à reconsidèrer le mode de fonctionnement de l’activité économique afin que celle-ci puisse satisfaire réellement les objectifs du développement durable.
Un chemin à accomplir
Une remarque s’impose : à lire ce texte écrit il y a trente ans comme à lire le rapport Brundland, on y voit un texte d'une grande actualité. Trop peut-être : cela signifie que tout cela reste à faire. Mais c’est le destin d’un concept de se développer lentement, d’enrichir peu à peu les consciences pour se traduire enfin en actions. Le concept a progressé. Tant mieux, mais il reste tant à faire !
Voir aussi :
- Le développement durable, un concept bien connu ?
Références :
- IUCN : World Conservation Strategy, 1980
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