Histoire de la découverte du réchauffement climatique
1. 1820 - 1900 : Le temps des intuitions
2. 1900 - 1940 : Le temps du scepticisme
3. 1950 - 1958 : Premières démonstrations
4. 1960 - 1990 : Le CO2, clé du changement climatique ?
6. 1990 - 2000 : La théorie confirmée
7. Perspectives pour le XXIe siècle
Une intuition scientifique ancienne
Depuis quand parle-t-on de réchauffement climatique ? Depuis quand est-ce devenu un sujet politique et médiatique ? D'où viennent les arguments des "climato-sceptiques ?"
Pour pouvoir répondre à ces questions il est nécessaire de comprendre comment a été découvert le réchauffement climatique. Quels ont été les débats scientifiques ? En découvrant cette succession de questions et de résolutions scientifiques pendant plus d'un siècle, on saura mieux faire la part entre les vrais questions et les faux débats.
Voici l'histoire de la découverte du réchauffement climatique.
Ce texte est une adaptation de l'article de Spencer Weart : The Discovery of Global Warming.Le travail de Spencer Weart est remarquable. Il permet de comprendre la genèse d’une recherche scientifique qui s’étend sur plusieurs siècles, depuis les premières intuitions en 1830, suivies par une réfutation pendant un demi-siècle à partir de 1900, jusqu'aux confirmations depuis 1950 grâce aux progrès des sciences et des techniques. Cette histoire est un bon exemple de la démarche scientifique ainsi que de son devenir politique lorsqu'elle devient un enjeu de société.
Ainsi va la science : suite à un débat scientifique au sein duquel plusieurs thèses s’affrontent, un camp finit par l’emporter, grâce à de nouvelles découvertes ou à de nouveaux outils de mesure qui permettent d'apporter des preuves indiscutables. L’ensemble des scientifiques finit alors par reconnaitre ces preuves et un consensus légitime se forme, excepté sur des points de détails.
En lisant cette histoire, on voit à quel point la controverse actuelle n’est pas de nature scientifique. Le temps du scepticisme scientifique est dépassé. Mais après que les preuves scientifiques se soient accumulées, le sujet est devenu un enjeu de société. Est venu alors le temps de la négation. A la lecture de cette histoire, on découvre avec surprise à quel point les meilleurs arguments climatosceptiques ont été forgés en puisant dans les arguments scientifiques du passé. Des arguments valables à une époque et totalement invalidés depuis longtemps sont répétés avec ferveur par les climatosceptiques dans les médias et la blogosphère. Ils ont ainsi l'air très sérieux d'un point de vue scientifique, et pour cause : ils sont issus des meilleurs articles de recherche. Mais ils sont aujourd'hui frelatés. Invalidés depuis longtemps. Mais qui le sait ? A moins d'avoir une connaissance encyclopédique, il est très difficile de répondre à ces arguments. Grâce au travail de Spencer Weart, cette connaissance est désormais accessible.
On voit alors apparaître l'une des méthodes utilisées par les leaders climatosceptiques. A coté des arguments balourds et grossiers utilisés par un Claude Allègre (6), d'autres arguments plus savants en apparence sont forgés dans les officines décrites par Naomi Oreskes et Erik Conway (7) par certains scientifiques et experts en communication. Quoi de mieux que de vrais arguments scientifiques pour critiquer la thèse du réchauffement climatique ? Inutile de se fatiguer à les fabriquer, il suffit de récupérer de vieux arguments maintenant réfutés. Ils connaissent donc très bien l'histoire de cette découverte scientifique. Preuve de la duplicité de ces leaders. Ils sont bien placés pour savoir que ces arguments sont faux.
Mais quel citoyen attentif, même s’il est scientifique lui-même, connaît le détail des raies d’absorption du CO2, de la saturation des infrarouges, du rôle de la vapeur d’eau et des nuages, du soleil, de l’océan, des cycles naturels… Qui saura reconnaître une réfutation logique et solide, mais réfutée au cours de l’histoire de la science ?
Telle est l’attitude des leaders climatosceptiques : fabriquer des mensonges. Ceux qui relaient leurs thèses sont vraiment les dindons de la farce. L’effet est redoutable : semer le doute et servir de prétexte à l'opposition aux mesures nécessaires. De quoi les retarder pour plusieurs années. C’est justement là le but recherché : face à des mesures difficiles, l’ombre d’un doute suffit.
Connaître l’histoire de la découverte du réchauffement climatique aidera, nous l'espérons, à mieux comprendre les arguments scientifiques qui démontrent ce phénomène et à mieux déceler les paralogismes climatosceptiques. Cela permettra de mieux apprécier la démarche scientifique, la controverse passée et le consensus actuel.
1. 1820 – 1900 : Le temps des intuitions
Fourier et la naissance de l’effet de serre
La science de la chaleur n'existait pas encore, et pourtant Joseph Fourier se demanda, vers 1820, ce qui pouvait expliquer le climat de notre planète. Pourquoi la Terre n’accumule-t-elle pas la chaleur qu’elle reçoit du soleil jusqu’à devenir aussi chaude que lui ? Fourier supposa que si la Terre restait à une température constante tout en recevant en permanence de la chaleur du soleil, c'est qu'elle devait émettre autant d’énergie vers l’espace. Il utilisait déjà la notion d'équilibre thermique, même si le premier principe de thermodynamique, qui énonce cette propriété sous une forme générale, n'était pas encore élaboré.
Mais à l’inverse si elle émet cette énergie vers l’espace elle devrait être beaucoup plus froide qu’elle ne l’est, se dit-il. Pour résoudre cette contradiction, Fourier supposa que l’atmosphère absorbait ce rayonnement pour le transformer à nouveau en chaleur, ce qui permettait à la Terre d’avoir de bénéficier d'une température clémente. En pensant aux expériences réalisées par Horace-Bénédict de Saussure vers 1780, qui avait escaladé des montagnes avec des caisses de verre remplies d'air et contenant des thermomètres (1), il compara ce phénomène à l’effet produit par une serre : « la température [du sol] est augmentée par l'interposition de l'atmosphère, parce que la chaleur [le rayonnement solaire] trouve moins d'obstacles pour pénétrer l'air, étant à l'état de lumière, qu'elle n'en trouve pour repasser dans l'air lorsqu'elle est convertie en chaleur obscure [le rayonnement infrarouge tellurique] (2) . Bien sûr, la comparaison fonctionne imparfaitement car la vitre, contrairement à l’atmosphère, empêche l’air chauffé d’aller se mélanger à l’air froid de l’extérieur. Fourier l'avait bien compris. Mais en constatant que l'atmosphère est plus chaude près du sol qu'en altitude, il en déduisit que les mouvements de l'air n'empêchaient pas l'effet de serre de réchauffer l'atmosphère. L'analogie de la serre fonctionne en partie car la vitre, comme l’atmosphère, laisse passer les rayons visibles qui chauffent le sol et bloque une partie des rayons infrarouges, piégeant ainsi l’énergie du soleil. Le principe de l’effet de serre était né.
Cependant, la science de l’époque ne permettait pas à Fourier de vérifier son hypothèse. C’était une brillante intuition, propre à la recherche scientifique : poser un problème et échafauder des hypothèses même si on n’a pas encore les moyens de les vérifier. Ce type d'intuitions contribue à faire avancer la science et stimule de nombreuses recherches avant qu'elles ne puissent être vérifiées grâce, justement, au progrès de la science et des techniques.
Tyndal et le rôle du carbone
Plus tard John Tyndal constata, lors de ses escapades d’alpiniste, des traces qui laissaient penser que de colossales masses de glace avaient dû recouvrir une partie des montagnes et des vallées. À quel point le climat avait-il dû changer pour provoquer cela ? Comment ? Reprenant l’idée de Fourier, il chercha vers 1859 si dans l’atmosphère il existait des gaz absorbant les infrarouges. Il conclut qu'en effet la vapeur d'eau contribuait principalement à cet effet, mais aussi, dans une faible mesure, le CO2. De plus, ajouta-t-il, « Un léger changement dans les constituants variables de l'atmosphère suffit pour que se modifie la quantité de chaleur retenue à la surface de la Terre enveloppée par la couverture d'air atmosphérique. » (3). Grâce aux gaz à effet de serre (GES), l'atmosphère fonctionnait comme une couverture. L'idée qu'une légère modification de la composition de l'atmopshère en GES pouvait modifier le climat était née.
Arrhénius et le carbone fossile
(4).
Vers la fin du XIXe siècle Svante Arrhenius reprit ce questionnement et se tourna vers le CO2. Pourquoi ce gaz et pas la vapeur d’eau, qui est beaucoup plus abondante ? Parce que cette dernière fluctue quotidiennement tandis que le CO2 évolue sur des temps géologiques. Il pourrait donc avoir un rôle dans les changements climatiques du passé. De plus un début de réchauffement initié par le CO2 provoquerait une hausse de la quantité de vapeur d’eau, et donc un réchauffement plus important encore. Ainsi le CO2 pouvait avoir un rôle pilote dans les changements climatiques. En 1896, il déclara à l’issue de fastidieux calculs qu’en divisant la quantité de CO2 par deux, la température de l’Europe pourrait baisser de 5 °C environ, ce qui pouvait expliquer le cycle des âges glaciaireUne telle modification de la teneur en CO2 était-elle possible ? Il posa la question à son collègue Högborm qui s’était mis à calculer la quantité de CO2 émise lors de la combustion du charbon. Celui-ci se rendit alors compte que si le mouvement initié par la révolution industrielle continuait, la teneur en CO2 de l’atmosphère pourrait augmenter et contribuer à réchauffer le climat : c'est l'acte de naissance du principe du réchauffement anthropique. Arrhenius se mit alors à calculer l’effet d’un doublement du CO2. La température globale pourrait grimper de 5 à 6 °C. À l’époque, et pour un Scandinave, cela semblait plutôt une bonne chose… Un scientifique réputé, Walter Nermst, proposa même de brûler du charbon volontairement afin de réchauffer l’atmosphère. Comme quoi rien de tel qu’un bon feu de cheminée... Un tel réchauffement, s’il avait lieu sur plusieurs siècles, pourrait empêcher selon lui la prochaine glaciation et serait de toute façon une bonne chose pour nourrir une population humaine en forte croissance. Au rythme des émissions de l’époque, il aurait fallu de nombreux siècles pour doubler le CO2. Par ailleurs, Arrhénius pensait que l’océan devait absorber la plus grande partie du CO2. Sauf si les émissions étaient trop massives et trop rapides… mais n’anticipons pas.
C’est en 1908 que fut publié en anglais son fameux article sur les âges glaciaires. Il pensait que la variation du CO2 pouvait expliquer les cycles climatiques, et faisait également l’hypothèse d’un réchauffement d’origine anthropique sur une durée de quelques siècles et non plus de quelques millénaires, à cause de l'augmentation des émissions de GES depuis la parution des précédants articles. Mais ce sujet était abordé de façon anecdotique et ne consituait pas le thème principal (5).
Néanmoins Chamberlin s’intéressa au cycle du carbone dans l’atmosphère et à ses relations avec les océans et les forêts. Encore une fois, ce qui était en question n’était pas un possible réchauffement, mais le mécanisme des changements climatiques du passé. L’idée d’un réchauffement dû au CO2 émis par les hommes était considérée comme une curiosité théorique.
La science de l’époque n’était de toute façon pas encore prête pour démontrer un tel principe.
Chapitre Suivant, 1900 - 1940 : Le temps du scepticisme
Notes :
(1) : Historique de l'effet de serre, JacquesGrinevald, BenoîtUrgelli, Planet Terre Eduscol ENS Lyon, http://planet-terre.ens-lyon.fr/article/histoire-effet-de-serre.xml. Ces caisses de verre comportaient une plaque noire et furent en quelque sorte les premiers panneaux solaires thermiques.
(2) : Mémoire sur les températures du globe terrestre et des espaces planétaires, in Mémoires de l'Académie des sciences de l'Institut de France, p587, Fourier, 1928. On trouve l'explication de ce principe dès 1824 dans Remarques générales sur les températures du globe terrestre et des espaces planétaires, Annales de chimie et de physique Volume 27, p155, Fourier, 1824 : "La mobilité de l'air qui se déplace rapidement dans tous les sens et qui s'élève lorsqu'il est échauffé, le rayonnement de la chaleur obscure dans l'air diminuent l'intensité des effets qui auraient lieu sous une atmosphère transparente et solide mais ne dénaturent point entièrement ces effets. Le décroissement de la chaleur dans les régions élevées de l'air ne cesse point d'avoir lieu et la température peut être augmentée par l'interposition de l'atmosphère parce que la chaleur trouve moins d'obstacle pour pénétrer l'air étant à l'état de lumière qu'elle n'en trouve pour repasser dans l'air lorsqu'elle est convertie en chaleur obscure".
(3) : Contributions to Molecular Physics in the Domain of Radiant Heat, London, 1872, Tyndall, cité par Historique de l'effet de serre, JacquesGrinevald, BenoîtUrgelli, Planet Terre Eduscol ENS Lyon, http://planet-terre.ens-lyon.fr/article/histoire-effet-de-serre.xml. Voir aussi : Tyndall, John (1861), "On the Absorption and Radiation of Heat by Gases and Vapours..." Philosophical Magazineser. 4, 22: 169-94, 273-85, Tyndall, John (1863), "On Radiation through the Earth's Atmosphere." Philosophical Magazineser. 4, 25: 200-206, Tyndall, John (1863). "On the Relation of Radiant Heat to Aqueous Vapor." Philosophical Magazineser. 4, 26: 30-54.
(4) : Arrhenius, Svante (1896), "On the Influence of Carbonic Acid in the Air Upon the Temperature of the Ground", Philosophical Magazine and Journal of Science, vol. 5, no 41, avril 1896, p. 237-276.
(5) : Arrhenius, Svante (1908), Worlds in the Making, New York, Harper & Brothers. Ce texte largement lu est la traduction du texte original publié en suédois en 1906 : « Världarnas utveckling ».
(6) : Claude Allègre utilise des mensonges et des sophismes grossiers forgés pour tromper une foule peu regardante, et malheureusement, pour abuser des journalistes mal préparés ou qui se contentent de servir de porte-micro aux personnes qui parlent plus fort ou avec plus d'aplomb que les autres. Par exemple : confondre la banquise flottante avec les glaces continentales, dire que le CO2 n'est pas un polluant et qu'on en émet en respirant (qui dit le contraire ?), évoquer la météo lors d'une vague de froid, trafiquer des courbes ... Et pourquoi pas, si cela fonctionne ?
(7) : Les Marchands de doute, Naomi Oreskes et Erik M. Conway, 2010, ; voir aussi La Fabrique du mensonge, Stéphane Foucart, 2013
Adapté, résumé ou augmenté d'après The Discovery of Global Warming, The Carbon Dioxide Greenhouse Effect, février 2013, Spencer Weart
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