Trois caractéristiques importantes sont à retenir en 2013 concernant l'évolution de notre système de production électrique :
- Le prix de marché est très inférieur (parfois de moitié) au coût de renouvellement des capacités de production, ce qui pose la question du futur de l'électricité en termes de capacité et de coût.
50 €/MWh prix de gros, de 60 à 100 €/MWh pour de nouvelles capacités - Le coût des renouvelables est compétitif face aux énergies conventionnelles, photovoltaïque inclu, pour ce qui est des capacités nouvelles.
100 €/MWh pour le nucléaire, 60 €/MWh pour le charbon ou le gaz, 60-80 €/MWh pour l'éolien et probablement 100-120 € pour le photovoltaïque en juin 2013, en baisse rapide. - Le coût de l'intermittence de l'éolien et du photovoltaïque n'est pas très élevé, même pour des taux de pénétration importants.
de 1 à 7 $ par MWh pour une pénétration de 20%
Électricité : un prix de marché parfois inférieur de moitié au coût de renouvellement
Le marché de l'électricité se heurte à une difficulté : le prix de l'électricité sur le marché de gros (CRE 2013) est presque inférieur de moitié au coût de l'électricité pour des installations nouvelles, qu'elles soient conventionnelles ou ENR (EIA 2013). Cela signifie qu'un opérateur qui construit une nouvelle centrale ne pourra pas la rentabiliser. Ce qui n'incite guère à remplacer le parc vieillissant. La France devra remplacer dans un avenir proche la plus grande partie de son parc de production. Ou prolonger celui-ci pour 10 ou 20 ans, mais pas plus. S'agissant du nucléaire, cela pourrait comporter des risques.
C'est pourquoi les opérateurs demandent des prix d'achats garantis aux gouvernements, même pour les énergies conventionnelles. Par exemple EDF a demandé en 2013 au gouvernement anglais un tarif d'achat garanti sur une trentaine d'années de 100£, c'est-à-dire 118€/MWh (1) – le double du prix de marché - pour construire un EPR. Soit un tarif plus élevé que l'éolien en général ou que le photovoltaïque au sol dans une région comme Marseille (coûts unitaires ADEME).
Les énergies renouvelables deviennent compétitives face aux énergies conventionnelles
Les ENR sont déjà économiquement rentables (éolien) ou bien sont en passe de le devenir (photovoltaïque). Le coût du photovoltaïque, à en croire les évaluations de l'Ademe de 1,8 €HT/Wc pour une installation de plus de 1MW, permettrait un coût de production de 60 €/MWh pour une centrale dans le sud de la France. Ce calcul demande à être vérifié. On sait que pour un système résidentiel le prix est descendu à 1,7 €/MWh en Allemagne (BSW). Cependant le coût moyen du dernier appel d'offre, cloturé en février 2012 (Etat des lieux appel d'offre CRE 2012), se montait à 188 € pour des unités supérieures à 4,5 MWc. Depuis, le prix des modules à été divisé par 1,6 (pvXChange). On ne connait pas la sensibilité du coût final au prix des modules, mais on peut estimer qu'aujourd'hui, un tel coût serait de 100 à 120 €/MWh pour une installation complète. Le tarif de rachat hors appel d'offre de 80 €/MWh ne trouve pas preneur (L'Echo du solaire), ce qui signifie qu'il est pour le moment en-dessous du coût. Le prochain appel d'offre sera cloturé en septembre 2013.
On constate que le prix des panneaux a été divisé par trois en quelques années : cette situation est exceptionnelle sans doute, mais, même si cette baisse connaitra une pause, la tendance devrait continuer.
Quant au coût de l'éolien, il rejoint celui des énergies conventionnelles (gaz, charbon et nucléaire) pour des installations nouvelles, si l'on en croit l'agence américaine de l'énergie (EIA 2013). Si l'on ajoute le coût de la tonne de CO2 – qui dépend beaucoup des décisions politiques - les ENR deviennent encore plus intéressantes. Le phovoltaïque, qui est déjà rentable dans certaines régions, possède une grande marge de baisse pour l'avenir.
Le débat a évolué : on a le plaisir de constater qu'on entend moins de bêtises qu'auparavant dans la blogosphère et dans les médias à propos des coûts. On ne compare plus le coût marginal de court terme du nucléaire avec le coût total des ENR pour des installations nouvelles (notre compte-rendu du rapport Cours des Comptes 2012 : des comparaisons hasardeuses).
Les personnes dubitatives à propos des ENR ont changé leur argumentation et concentrent leurs critiques sur le coût de l'intermittence. Ils ont bien raison : c'est là le principal défaut des ENR variables. Mais ce défaut est-il aussi insurmontable qu'on le dit ?
Le coût de l'intermittence
Un coût modéré
« Not a big deal ». Voilà en substance le message de l'étude de l'Agence Internationale de l'Énergie (AIE) en 2011 : ce n'est pas vraiment un problème. C'est en tout cas la conclusion de son rapport « Harnessing Variable Renewables » (Exploiter les énergies renouvelables variables). Certes il existe un surcoût : entre 1$ et 7 $ le MWh selon les études pour 20% de pénétration totale (éolien + photovoltaïque). Et 5$ le MWh pour une pénétration de 30% selon une étude américaine.
Le problème de l'intermittence est connu depuis longtemps par les gérants des réseaux. La légende qui voudrait qu'une centrale photovoltaïque ou qu'un parc éolien doive être soutenu par une centrale conventionnelle de capacité identique (à charbon, histoire de charger la barque) est complètement fausse. Toutes les sources d'électricité doivent être secondées en permanence par des « réserves d'équilibrage » pour que l'offre soit à chaque instant égale à une demande variable, l'électricité ne se stockant pas ou très peu. Heureusement, une large interconnexion en réseau permet de varier les sources et de mettre en place des capacités de réserve. Celles-ci sont nécessaires aussi bien pour le nucléaire que pour le conventionnel, et elles existaient bien avant qu'on introduise l'éolien ou le photovoltaïque. C'est la raison pour laquelle l'introduction des ces sources variables n'implique par qu'on installe des réserve supplémentaires, jusqu'à un certain niveau de pénétration. Le pilotage de ces réserves dépend de facteurs très complexes : économiques, techniques, mais aussi caractéristiques du panel de production et du panel de la demande. C'est un métier, celui des ingénieurs réseau.
Bien sûr ces énergies, au contraire des énergies fossiles ou nucléaires, ne sont pas pilotables à la demande. On ne peut pas les faire varier au gré de ses volontés. Mais elles sont tout de même assez prévisibles et assez régulières sur une tranche de 24h, 48h ou 72h. Il suffit pour s'en rendre compte d'aller voir le site de RTE (Production par filière en France), fort bien fait, qui donne heure par heure les productions de chaque filière ainsi que les prédictions pour l'électricité éolienne. Pas de grosses pannes imprévisibles du fait du foisonnement et de la décentralisation. La production annuelle ou saisonnière des ENR variables est facilement prévisible. Tout cela est important pour les gestionnaires réseau.
Résultat : l'intermittence n'est pas, au dire de l'AIE, au niveau mondial, ou de RTE en France, un problème insurmontable. Elle nécessite bien sûr des adaptations qui ont un coût. Mais selon l'AIE, le jeu en vaut la chandelle. Le coût de l'intermittence n'empêchera pas les ENR d'être compétitives.
Une capacité de pénétration importante
Le coût de l'intermittence dépend du réseau et donc de la part des ENR variables dans le total. Lorsque la pénétration des ENR augmente, le coût de l'intermittence augmente également. Mais dans des proportions assez faibles. De plus cette pénétration peut être assez forte : jusqu'à 30% ou même 60% avec un réseau adapté. De quoi voir venir : on en est très loin aujourd'hui en France.
Le temps d'y parvenir le coût des ENR aura encore baissé et les solutions de réseau intelligent et de stockage auront elles-mêmes progressé. Ce qui augmentera encore la compétitivité et le potentiel de pénétration des ENR variables tels que l'éolien, le photovoltaïque ou les énergies marines.
Ainsi, au moment où l'on peut anticiper un fort besoin de renouvellement des capacités de production, on peut constater que les ENR variables sont désormais compétives. Et qu'elles le seront de plus en plus.
Références et calculs :
- Coût de l'intermittence : Harnessing Variable Renewables. A Guide to the Balancing Challenge, IEA, 2011. D'autres références sont données dans ce rapport.
- Prix du marché de gros en France : Observatoire des marchés de l'électricité, du gaz et du CO2, CRE, 2013
- Coût des sources d'électricité nouvelles installations aux USA : Levelized Cost of New Generation Ressources in the Annual Energy Oultlook 2013, EIA, 2013. Le prix des énergies fossiles est supérieur en Europe. Pour le PV, les coûts varient selon l'exposition.
- Coût des sources en France avec estimations DGEC 2008. Depuis 2008, le prix des modules photovoltaïques à été divisé par trois.
- Coût du photovoltaïque en 2013 pour une centrale de plus de 1MW : 1,8 à 3 €HT/Wc d'après les estimations Ademe 2012, ce qui ferait, d'après la calculette Calsol, 60€/MWh à Marseille et 85€/MWh à Paris. Evolution du coût d'une installation photovoltaïque en Allemagne : BSW
- Coût du photovoltaïque selon les appels d'offres : état des lieux de l'appel d'offre février 2012, prix spot des panneaux photovoltaïques : pvXchange.
- Production d'électricité en temps réel pour les différentes filières : RTE. Pour se rendre compte de la production heure par heure du photovoltaïque, il faut (à ce jour) revenir en arrière d'un mois ou deux. Elle sera visible en temps réel au premier semestre 2013, selon le site de RTE.
- (1) Garantie d'achat réclamée par EDF pour l'EPR anglais. Nucléaire : trop cher, nous avons besoin d'aide dit EDF aux anglais (dd magazine), New nuclear power station gets planning consent (The Guardian), EDF : pourrait renoncer à ses projets nucléaires au Royaume-Uni (boursier.com)