... ce qui ne remet pas en cause la réalité du réchauffement anthropique.
D’après les travaux scientifiques récents, la fonte passée et future des fameux glaciers n’est probablement pas attribuable principalement au réchauffement ; en tout cas, un tel lien n’est pas démontré. Il serait même possible qu’un réchauffement plus marqué puisse sauver ces glaciers, s’il se traduit par plus de précipitations, selon Georg Kaser. Ce qui n’est pas à souhaiter, bien sûr.
Pourtant, le Kilimandjaro a souvent été pris comme un emblème du réchauffement. Au grand dam des scientifiques eux-mêmes. Les climato-sceptiques s’en sont alors donné à cœur joie. Voyez, disent-ils, comme ils vous racontent des fadaises ! Pourtant, l’absence de lien décisif entre réchauffement global et Kilimandjaro ne remet en cause ni la réalité du réchauffement anthropique, ni la communauté scientifique concernée, et encore moins le GIEC. Celui-ci avait en effet cité les travaux remettant en cause le lien entre réchauffement et Kilimandjaro dans son rapport de 2007.
Cela n’a pas empêché de nombreux médias d’illustrer leurs articles par des photos du « Kili ». Ces approximations sont une aubaine pour les climato-sceptiques. Ils en profité pour nier l’ensemble des travaux des scientifiques « réchauffistes » et pour faire croire que le GIEC et les scientifiques concernés se trompent.
Mais ceux qui se sont trompés, en l’occurrence, se sont surtout les services d’illustration des médias, qui bien souvent s’empressent de mettre des photos du Kilimandjaro ou d’ours polaires au moindre article évoquant le climat, sans demander son avis à l’auteur de l’article. Et les climatosceptiques eux-mêmes, dont les plus avertis ont fait semblant de ne pas savoir que l’ensemble de la communauté scientifique était déjà au courant.
La délicate enquête des glaciologues
Avant 2003, les glaciologues pensaient généralement que le réchauffement climatique était responsable de la diminution des glaces du Kilimandjaro. C’est ce qu’affirment par exemple les travaux Thompson (Thompson et al, 2002). Cela explique sans doute pourquoi le glacier popularisé par Hemingway soit devenu un emblème.
Mais en 2003 plusieurs publications de Molg, Hardy, Kaser et al (Molg et al, 2003 ; Kaser et al, 2003) ont conclu que le réchauffement climatique n’était pas en cause. Pour eux, ce sont les changements dans les conditions d’insolation, dus à l’assèchement de l’Afrique depuis la fin du XIXe, qui en sont les principaux responsables. En effet les glaciers du Kilimandjaro sont situés à une altitude si élevée que malgré leur situation près de l’équateur, les températures montent rarement au dessus de zéro, ce qui emêche leur fonte, réchauffement ou pas. Par contre, l’insolation provoque un phénomène de sublimation qui génère des effets complexes et se traduit par une fonte particulière, comme le prouve la forme des glaciers du sommet. D’autres scientifiques pointent la responsabilité de la déforestation qui a lieu localement, et qui a pour effet de réduire la couverture nuageuse.
Toutefois, ces scientifiques ne remettent pas du tout en question la réalité du réchauffement climatique global ni la responsabilité humaine de celui-ci. Ni même la responsabilité du réchauffement global dans la fonte de la plupart des autres glaciers.
Pourtant Le débat scientifique n’est pas clos à ce sujet. Thompson a répliqué aux publications successives de Kaser par une étude publiée en 2011 dans « Annals of Glacioloy », maintenant l’idée que le réchauffement est bien en cause parce que, si la température reste en dessous de zéro à 50cm au-dessus de la glace, celle-ci a pu se maintenir pendant leurs relevés à zéro degré pendant 8 heures par temps clair, ce qui indique que le réchauffement peuet jouer un rôle. D’après ces travaux, les isotopes d’oxygène et d’hydrogène plaident également contre la fonte par sublimation. Une sorte de match oppose ainsi depuis une décennie Thompson à Kaser, Mog et Hardy sur ce point.
Une controverse scientifique sur un point particulier
Cela signifie, quoi qu’en disent les climato-sceptiques, que le débat scientifique se déroule normalement à propos du climat. Ce genre de controverses, courant dans le milieu scientifique, a lieu loin des médias sous la forme d’expérimentations et d’argumentations soignées, publiées dans des revues à comité de lecture. Les controverses se focalisent sur des points particuliers où il n’y a pas encore de certitude. Mais sur le réchauffement global et la responsabilité des émissions humaines de gaz à effet de serre (GES), il n’y a plus de controverse depuis plusieurs décennies, tout simplement parce que l’ensemble de la communauté scientifique est en accord. Un accord qui provient des expérimentations et des recherchent qu’ils pratiquent tous les jours.
Décalage entre Médias et Sciences
Le décalage entre la controverse médiatique d’un côté, nourrie par les climato-sceptiques, qui repose à la fois sur des mensonges grossiers et sur la maladresse des médias, et entre la controverse scientifique, qui met en jeu des arguments assez subtils sur des points particuliers, nous parait édifiant. Il mériterait d’être étudié par les acteurs des médias, qui, par leurs pratiques parfois approximatives, ne rendent pas service aux vérités de notre monde – alors qu’en rendre compte est bien souvent leur profonde motivation.
Le Débat scientifique
Voici les principales publications traitant les causes de la fonte du Kilimandjaro :
- Thompon et al, 2002, Science. Les auteurs mettent en évidence la responsabilité du réchauffement global dans la fonte rapide du glacier.
- Kaser et al, 2004, International Journal of Climatology. Kaser, Hardy, Molg, Bradley et Hyera remettent en cause les conclusions de Thompson. L’étude s’appuie sur l’historique de la diminution du glacier, depuis 1880, en corrélation avec l’assèchement généralisé de l’air en Afrique depuis la même date. Elle repose également sur une étude détaillée des mécanismes physiques : sublimation due à l’insolation, chaleur latente, chaleur sensible, angle des rayons lumineux, horaires et saisons de l’insolation, formes et particularités de la fonte.
- Contre Vents et Marée, Agrawala, Publications de l’OCDE, 2005. L’étude montre les impacts du développement du territoire sur le climat local en association avec le changement global. Il montre que la fonte du Kilimandjaro aura peu d’impacts sur l’alimentation en eau puisque les cours d’eau sont principalement alimentés par les nuages se formant dans les forêts. Ce qui est inquiétant, donc, n’est pas la fonte des glaces, mais la diminution de la surface des forêts, qui peut être due à plusieurs causes.
- Kaser et Mote 2007, article grand public traduit en français, Pour la Science. Les auteurs reviennent pour le grand public sur les mécanismes défendus dans leur article de 2003.
- Thompson et al, 2009, PNAS. Les auteurs signalent que si l’humidité de l’air a varié dans le passé, une telle fonte du glacier n’a pas d’équivalent depuis 11 700 ans, alors que celui-ci a survécu à un assèchement très important il y 4 200 ans, pendant 300 ans.
- Molg, Cullen, Hardy et Kaser, 2009, Journal of Climate. Les auteurs confirment le lien privilégié entre humidité de l’air et diminution des glaces du Kilimandjaro.
- Thompson et al, 2011, Annals of glaciology. Les auteurs reviennent sur cette controverse grâce à une nouvelle campagne de mesures. Ils montrent que si la température à 50cm au-dessus de la glace est toujours largement négative, la température à la surface de la glace est de 0°C, indice d’une fonte possible par réchauffement. Les isotopes d’oxygène et d’hydrogène plaident également selon eux pour une fonte par chaleur sensible, c’est-à-dire à cause du réchauffement. Ils maintiennent donc l’idée que la cause principale est le réchauffement climatique.
Références :
- Les Glaces du Kilimandjaro : pourquoi elles ont régressé, Pour la Science, 2007, P. Mote, G Kaser.
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