Quels sont réellement les coûts du nucléaire ? Le rapport de la Cour des Comptes permet de faire le point dans un contexte où les évaluations sont très variables, parfois fantaisistes et marquées par l'idéologie. Comment calculer le coût du nucléaire ? Comment comparer le coût du nucléaire avec les autres sources d'énergie ? Quelles sont les perspectives ? Au moment où nous devons mettre en place le renouvellement du parc électrique français pour les cinquante prochaines années, en plein défi climatique, un choix délicat s'impose. Il est urgent de s'informer au-delà d'un simple tweet ou d'un pugilat télévisuel. A tête reposée...

 

 

Un rapport bienvenuQuels sont réellement les coûts du nucléaire ? Le rapport de la Cour des Comptes permettra de faire le point, dans un contexte où les évaluations sont assez variables.

Un rapport attendu  ! D'un coté le principal argument des anti-nucléaires est le risque pour la santé et l’environnement. De l'autre, on vante son coût modéré et sa capacité colossale ...

Pourtant, l'argument du coût est régulièrement remis en cause par ses opposants. Selon eux, des calculs erronés et des coûts cachés minimisent son niveau réel. Pendant ce temps certains inconditionnels du nucléaire ont parfois vantés des coûts ridiculement bas.

Le rapport de la cour des comptes permet de faire le point. En voici un compte-rendu complet. Il permettra de comprendre les différents types de coût et la manière de les utiliser de manière pertinente, de réflechir sur la manière de comparer le nucléaire avec les autres énergies, et d'en savoir plus sur les perspectives de renouvellement du parc électrique.

Aujourd'hui, il est impératif d'opérer des choix fondamentaux pour la fourniture électrique des cinquantes prochaines années, car notre parc électrique doit être renouvelé. Nous sommes à la croisée des chemins : relancer le nucléaire pour cinquante ans ? Lancer les renouvelables ? En plein défi climatique, un choix raisonné s'impose. Il est nécessaire pour cela de s'informer. En allant un peu au-delà, pardon, de la lecture d'un simple tweet ...

 

En finir avec les déclarations fantaisistes…

Le rapport de la Cour des Comptes (CdC), « Les coûts de la filière électronucléaire » (CFE) (1) devrait permettre une discussion sur des bases plus claires.

Curieusement lors de sa parution, de nombreux défenseurs et opposants au nucléaire se sont félicité des chiffres publiés et le rapport a été apprécié par l'ensemble des acteurs - à quelques réserves près. Pourquoi ? Ce document de près de quatre-cents pages mérite une analyse approfondie et est l'occasion d'apprendre plusieurs choses intéressantes.

La question du coût est à la fois controversée et complexe. Elle fait intervenir de nombreux paramètres et plusieurs modalités de calcul. Ces difficultés techniques, ajoutées au caractère passionnel du nucléaire, n'ont pas permis jusqu'à présent un débat aisé. Même avec la publication de ce rapport, les chiffres qui sont cités, parfois par des "experts" reconnus, n'est pas toujours pertinente.

Cette question doit pourtant être traitée avec sérieux pour plusieurs raisons : le choix à faire concernant le renouvellement ou non du parc de réacteurs nucléaires est urgent, vu l'âge de celui-ci. Or, ce choix engagera notre avenir énergétique pour une soixantaine d’années.

 

Pour bien en comprendre les enjeux, il convient tout d’abord de placer cette question dans son contexte. Petit détour historique.

Les promesses du nucléaire : pari tenu ?

Dans les années cinquante, l’énergie nucléaire a été présentée comme une source d’énergie inépuisable et bon marché qui allait ouvrir une ère de prospérité et d’énergie quasi gratuite, pour un risque ridiculement faible. Tellement bon marché que relever les compteurs reviendrait trop cher !

Cette espérance était partagée par de nombreux scientifiques. Le Général de Gaulle, sur ces informations, a alors lancé un vaste programme d’investissement en France. Il en allait de notre indépendance énergétique.

Ce vaste plan qui engageait la stratégie énergétique de la France sur une quarantaine d’années a été entrepris sur la foi de ces promesses.

Qu’en est-il aujourd’hui ?

Le nucléaire a tenu une partie de ses promesses

Il permet de produire une quantité massive d’électricité à l’abri des aléas commerciaux et géopolitiques de l’approvisionnement en gaz et permet de se passer du charbon. Le pétrole, quant à lui, n’est plus utilisé pour produire de l’électricité, sauf pour un appoint en période de pointe.

Sa pollution est difficile à évaluer, mais elle permet d’éviter des pollutions bien visibles issues des combustibles fossiles. De plus elle n’émet quasiment pas de gaz à effet de serre.

Son coût reste modéré bien qu’il soit l’objet de polémiques. Il est en tous cas à l’abri du prix des énergies fossiles. Ceci dit il a tendance à augmenter.

Le nucléaire n’a tenu que partiellement ses promesses

Les risques du nucléaire

Les promoteurs du nucléaire avaient certifié que les risques étaient ridiculement faibles. Mais des accidents graves sont survenus et ont remis en cause cette idée. Three Mile Island et Tchernobyl ont marqué les populations et les décideurs. Le temps passa sur les mémoires jusqu’à l’accident de Fukushima, survenu dans un pays connu pour son excellence technologique et sa maîtrise des risques environnementaux. Cet accident survient alors que le nucléaire civil cumule une expérience de 14 400 années d’exploitation (14 400 années.réacteurs).

Il est trop tôt pour mesurer pleinement les conséquences, mais d’ores et déjà 2000 km² de zone habitée ont dû être abandonnés pour plusieurs années, en laissant habitations, biens, animaux, cultures, usines, infrastructures. Et par chance, le vent soufflait du bon côté.

Les calculs théoriques annonçaient un risque d’un accident pour un million d’années.réacteurs, ce qui correspond à une probabilité de 1 % jusqu’à aujourd’hui ; or, il y a eu 3 accidents dont 2 avec émissions massives. Si on calculait le risque d’après la fréquence constatée, sur un parc sécurisé après Tchernobyl, la probabilité d’un accident en France dans les 30 prochaines années, qui rendrait une région inhabitable pendant de nombreuses années, serait de 15 %, soit une chance sur six (voir tableau). Cela revient un peu à jouer à la roulette russe avec une région de 4 000 km². Bien sûr il peut s’agir d’une série noire, mais dans ce cas, cela prouve qu’une série noire est possible. Cependant cela est peu probable. La confiance que l’on peut accorder à ce type de calcul est sans doute relativement faible, mais elle est plus importante que celle qu’on peut accorder aux calculs a priori, et qui au vu des accidents constatés, sont d’un point de vue mathématique, très probablement erronés.

Il est donc clair que sur le plan de la sécurité, le nucléaire n’est pas à la hauteur de ses promesses. L’estimation qui a permis de lancer la filière nucléaire était donc très probablement fausse. Ses avantages, en particulier son avantage coût, permettra-t-il de compenser ce risque ?

 

Source : Dumont / 23dd.fr

Risques d’accidents nucléaires :
Probabilité estimée avant la construction et
Probabilité calculée d’après les accidents observés

Région

Intitulé

Fréquence (accidents/réact-eur.année)

Probabilité
(au moins un accident)

Monde

Des origines à nos jours, d’après les calculs avant construction

1/1 000 000

1 %

Monde

Des origines à nos jours, d’après accidents constatés avec émissions importantes vers l’extérieur

2/14 400

94 %

Monde

Calcul d’après les données de 1986 après Tchernobyl , concernant un accident grave durant les 25 années suivantes

2/4000

99 %
(de 1986 à 2011)

France

Accident nécessitant l’évacuation d’une région, durant les trente prochaines années

2/14 400

22 %

France

Idem, sur un parc avec sécurité renforcée post-Tchernobyl, durant les trente prochaines années

1/10 500

15 %
(une chance sur six)

France

Idem, sécurité renforcée après Fukushima

??

??

 

Indépendance énergétique

Le nucléaire fournit 70 % de l’électricité consommée et 75% de l’électricité produite. Cela ne représente toutefois que 17 % de notre énergie finale, et nous restons malgré lui dépendants à 42 % du pétrole et à 22 % du gaz (2). Par ailleurs les transports dépendent presque entièrement de l’or noir. La promesse d’indépendance énergétique et les indicateurs officiels qui s’y rapportent n’étaient pas pertinents.

Gaz à effets de serre

Ce n’était pas une promesse initiale puisque l’enjeu n’était pas connu, toutefois il est clair que le nucléaire permet d’éviter le recours à des énergies fossiles, le gaz naturel en particulier. Pour donner un ordre de grandeur, si on remplaçait toutes les centrales nucléaires par des centrales à gaz, les émissions de CO2 augmenteraient de 172 Gt de CO2 en France, soit 39 %. Bien sûr aucun partisan d’une sortie du nucléaire ne propose un remplacement entièrement par du gaz. Mais il s’agit d’un élément à prendre en compte pour situer le nucléaire face à d’autres énergies.

Un parc de production à renouveller

Le parc des réacteurs est à mi-vie et le processus de remplacement des réacteurs actuels doit être engagé. En fait, il aurait déjà dû commencer pour la durée de vie prévue des réacteurs de quarante ans. Par exemple il aurait fallu prévoir la mise en service de 12 équ. EPR entre 2016 et 2020, et donc prendre une décision il y a cinq ans, compte tenu d’un délai minimum entre la décision et la mise en service (voir graphique).

 

Planning renouvellement centrales nucléaires - Source : Dumont / 23dd.fr

 

Si on prolongeait les centrales actuelles jusqu’à une durée de vie de 50 ans, il faudrait commencer la mise en route de 12 équ. EPR entre 2016 et 2020 et de 15 entre 2020 et 2025, ce qui est considérable.

Ce renouvellement peut se faire de différentes manières, mais quel que soit le scénario retenu, sa réalisation prendra du temps et implique qu’une décision soit prise rapidement. Il est donc indispensable de concevoir bientôt un projet global.

Les technologies concernant les énergies renouvelables progressent rapidement alors que la construction d’un nouveau parc nucléaire nous engage pour soixante ans. Avant même que ces moyens de production soient mis en service, il est possible qu’ils soient déjà dépassés, et qu’ils le soient davantage au cours des soixante années qui suivront. Il est donc tentant d’examiner la chose à tête reposée, en refusant les caricatures souvent utilisées dans ce domaine.

Le coût étant l’un des principaux arguments utilisés, il est utile d’utiliser le rapport de la Cour des Comptes afin de faire le point sur cette question.


Historique des estimations du coût du nucléaire

Des évaluations de coût très fluctuantes

À la lecture du rapport les protagonistes des camps opposés se sont félicités des chiffres publiés et ont entonné en chœur l’air du c’est bien ce que je disais.

Oui… mais quand ? Car en réalité les évaluations ont fluctué dans le temps.

Nous avons donc recherché l’historique des évaluations des coûts du nucléaire en nous aidant notamment de la Mission d'évaluation économique de la filière nucléaire, par Philippe Girard et Yves Marignac, et en utilisant les évaluations officielles ainsi d’autres sources. Nous les avons regroupés dans les deux tableaux suivants :

 

 

Source : Dumont / 23dd.fr

Historique des estimations du coût du nucléaire pour le parc futur

Année de l’étude

Type réacteur

Mise en service

Durée
Vie

Durée de fonct.

Tx
act.

Source

Coût
moy.
€201
0/
MWh

1964/69

UNGG 480/720

 

20

 

7

PEON

49/34

1969/70/73/74

REP 750-925

nc/1975-80

20

6600 h

7-10

PEON

30-38

1976-1

REP 1300

1982

20

6600 h

10

PEON

26,5

1976-2

1990

PEON : Nette hausse faisant suite au retour d’expérience de la construction de Fessenheim.

52

1978/79/82/84

REP 925-1300

1985-92

20

6600h-base

9

PEON-DIGEC

52-60

1986/90/93

N4

95-2000

25

base

8

DIGEC

49-53

1997

N4 amélioré

2005

30

base

8

DIGEC

39-40

2002

EPR 1600

nc

60

92 %

8

Areva

26

2003

EPR série de 5

2012

60

 

8

Greenpeace / Détente

72

2003

EPR

2013

60

8760 h

8

DGEMP

33,4

2005

EPR

 

40

92 %

 

EDF

47

2008

EPR

2020

40

8760 h

8

DGEMP : * Chiffre non publié en 2008 et communiqué sous forme d’indice. Révélé par la CdC en 2012 (p225)

46,6*

2008

EPR

 

60

 

 

EDF (cité dans CdC)

55

2010

EPR

 

60

92 %

 

AREVA 2010 (réponse à CdC)

50-60

2011

Type EPR

 

60

 

8

Banque UBS (100$ 2011)

70

2012

EPR Prototype

 

60

92 % ?

5

CdC 2012 (prototype)

70-90

2012

EPR

 

60

92 % ?

5

CdC 2012 citée par le CEA dans sa réponse au rapport. La version finale ne contient pas cette évaluation.

75

2012

EPR

 

60

5

CdC 2012, extrapolation d’après son estimation du coût du MW installé (3,1 M€/MW)

65-84

s

 

Source : Dumont / 23dd.fr

Historique des estimations du coût du nucléaire pour le parc existant

Année Etude

Durée de vie

Durée de fonctionnement

Tx act.

Source

Coût moyen €2010/MWh

2000

Prévue

 

8

Charpin Dessus Pelat (qui estime qu’un taux d’actualisation « neutre » de 4 % ou variable 6 %/3 % serait plus adapté, et que 8 % est « éthiquement inaccepable »)

28

2012

40

408TWh/an

5

CdC 2012 jusqu’à 2010

49,5

2012

40

408TWh/an

5

CdC 2012, à partir de l’année 2011

54,2

 

 

(Données sources pour les tableaux. Tous les chiffres sont donnés en euro 2010 par MWh, et concernent le coût moyen de production. ).

A la lumière de ce tableau on constate que les estimations officielles ont pu varier du simple au triple.

­Filière REP

Les estimations passent de 40 € en 1964 (filière graphite-gaz) à 35 € au début des années 1970 pour la filière REP (réacteur à eau pressurisée), et à 26 € en 1976. Le même rapport de 1976 annonce, pour la même filière, un coût de 52 €, soit le double. Il précise toutefois que ce deuxième montant concerne une mise en service en 1990 au lieu de 1982. Pourtant deux ans plus tard la même source annonce un coût de 52 € pour une mise en service en 1985, soit quasiment à la date qui correspondait deux ans plus tôt à un coût de 26 €. Étonnant.

En fait les experts ont été confrontés au retour d’expérience de la construction de la tête de série à Fessenheim. On peut remarquer – cela sera valable pour les EPR - que les estimations basses coïncident avec le lancement de la filière. Il est vrai qu’il est assez fréquent de constater que le coût de production est plus élevé que ce qui était annoncé avant la construction.

Mais, sans vouloir faire de procès d’intention, on a tout de même l’impression que le rapport de 1976 a utilisé le prétexte des années de mise en service pour justifier une hausse importante de l’estimation, qui sera explicite dans le rapport suivant.

Filière EPR : des évaluations qui vont du simple au triple

On retrouve une évolution similaire pour les EPR. En 2002, Areva annonce un prix de revient à 26 €. La firme explique que ce coût très bas est permis par une technologie optimisée. Greenpeace demande en 2003 une expertise à l’association Détente, qui conclut à un prix de 72 € pour une série de 5 EPR ; une estimation qu’elle dit avoir volontairement minimisée pour ne pas prêter le flanc à la critique.

En 1980 la DIGEC prend le relais de la commission PEON. En 2003 l’estimation est de 33 €. Puis, en 2008 elle passe brusquement à… l’indice 100. La commission se justifie en disant que le coût est un secret industriel. Mais comme les indices étaient utilisés pour le charbon et le gaz dont les coûts sont bien connus, les professionnels pouvaient aisément convertir l’indice en coût. En réalité l’estimation qu’on voulait cacher est passée de 33 € à 46 €. EDF publia la même année une estimation à 55 €. Aujourd’hui elle tourne autour de 75 €, soit trois fois plus que l’estimation initiale. Cette hausse coïncide avec les retours d’expérience de la construction des têtes de série.

La DGEMP, chargée d’estimer officiellement les coûts de production, a utilisé cette fois le prétexte d’un secret industriel pour masquer la hausse des estimations. Il est courant que les estimations doublent quand on passe du projet à la réalisation, mais les subterfuges utilisés pour masquer cette évolution sont à même de brouiller le débat et de tromper le grand public.

Enfin la Cour des Comptes ne donne pas d’estimation chiffrée du coût au MWh dans la version finale du rapport, mais on peut déduire celle-ci de la réponse du CEA à la préversion qui lui a été envoyée et d’après le coût de la puissance installée.

Coût du parc existant

L’historique pour le parc existant est moins fourni puisque cette évaluation n’a de sens que pour un parc à maturité. Elle permet une comparaison avec les estimations précédentes sur les données du parc réel, sauf pour les dépenses futures qui reposent sur des hypothèses.

Le chiffre le plus souvent cité est 49,5 €, soit le haut de la fourchette des estimations prédédantes. Cependant cette estimation n’est valable que jusqu’en 2010. À partir de 2011 il est nécessaire d’intégrer des investissements de maintenance en augmentation du fait d’un durcissement des normes de sécurité.

De fait la Cour des Comptes constate que les coûts du nucléaire sont en augmentation depuis le début de la filière et devraient continuer de croitre.

→ La Cour des Comptes estime le coût de production du parc existant, pour la période 2011-2025, à 54,5 €.

Les meilleures estimations ?

Si on considère la dernière estimation du coût de l’EPR (65-85 €), on peut être tenté de se demander qui s’en approchait le plus il y a dix ans. À ce jeu des projections on constate que les chiffres donnés par l’association de défense de l’environnement Greenpeace (72 €) étaient bien plus proches de la réalité que les chiffres donnés par le constructeur (26 €) ou par les instances officielles (33 €).

Ceci dit on ne constate pas d’explosion de la facture comme cela est parfois sous-entendu par les opposants au nucléaire. Toutefois, on s’aperçoit à lire l’historique des estimations que la prise en compte progressive des coûts supplémentaires ne s’est pas fait spontanément, mais sous la pression des critiques.

Enfin on note une tendance à diviser par deux les coûts avant la construction d’un nouveau type de réacteur. Bien sûr il est humain de sous-estimer le coût d’utilisation de ce qu’on doit vendre. Mais un décideur avisé – les pouvoirs publics en l’occurrence — se devait d’anticiper un tel écart.

Ces exagérations peuvent être comparées aux annonces de la filière éolienne qui en 2003 prévoyait pour 2010 un coût moitié moins élevé que ce qui est constaté aujourd’hui (d’après l’EWEA).

Cependant pour l’éolien les coûts baissent tandis que pour le nucléaire les coûts augmentent, et la tendance devrait se poursuivre. C’est un élément à prendre en compte lors d’un choix qui engage l’avenir sur une longue période.

Mais au fait, de quel type de coût parle-t-on ?

Un chiffre ne dit pas grand-chose à lui seul. Certes nous avons dit que nous utilisions le coût moyen de production, mais il est très instructif de connaître les différentes manières de calculer ces coûts. Différentes manières de calculer correspondent à différentes manières de présenter les choses… selon l’effet qu’on souhaite provoquer.

Essayons d’y voir un peu plus clair.


Les différents types de coûts : choisir le calcul adapté

Coût comptable, coût Champsaur, coût de production existant, coût installations futures : quel indicateur utiliser ?

Il règne une grande confusion dans l’utilisation des indicateurs lors des débats sur l’énergie. La porte est alors grande ouverte aux simplifications abusives et aux manipulations.

Il existe plusieurs façons de calculer les coûts, parce que la question posée peut être différente.

Veut-on calculer le coût de production en tenant compte de la part des équipements payés ?
Il faut utiliser le coût comptable complet


Veut-on calculer le coût de production de la prochaine unité, pour un équipement donné et à un moment précis ?
Il faut utiliser le coût marginal de court terme


Veut-on connaître le coût d’une filière énergétique  ?

Il faut utiliser le coût moyen de production, que le rapport de la Cour des Comptes appelle le coût courant économique. Seul ce type de calcul permet de comparer des énergies entre elles.

Voici un tableau qui récapitule les différents types de coût :

 

Source : Dumont / 23dd.fr

Quel type de coût pour répondre à quelle question ?

Question posée

Type de coût

Fonction

Variantes / remarques

Confusions à éviter

À quel prix moyen dois-je vendre aujourd’hui pour assurer l’équilibre des comptes (ou un bénéfice) sur le long terme ?

Coût comptable complet

Permet de calculer un coût de production moyen compte tenu des équipements payés, et éventuellement des investissements à faire pour assurer la pérennité de la production

Le coût varie selon que l’on prend en compte ou non des coûts futurs de maintenance ou de renouvellement de l’outil de production. Plusieurs variantes selon l’échelle de temps à laquelle on se réfère.

— Ne permet pas de connaître le coût moyen de production
— Ne permet pas de comparer le coût des filières énergétiques
— Dépend de l’historique des amortissements
— Évolue en fonction de la situation dans la durée de vie de l’installation.

Puis-je pratiquer des tarifs spéciaux sur le court terme ?

Combien me coûte à chaque instant un kWh produit dans chaque centrale ? Comment optimiser l’utilisation de mon parc de production  ?

Coût marginal de court terme (ou coût variable)

— Calculer un prix de vente à court terme

— gérer le réseau de ses outils de production.

— Ne pas confondre avec le coût marginal de long terme, qui prend en compte le renouvellement du capital.
— Les chiffres peuvent être très bas le coût du capital n’est pas pris en compte.
— Il dépend du moment et de chaque outil à la minute près puisqu’il dépend des capacités immédiatement disponibles.

— Confusion très courante avec le coût marginal de long terme, qui prend en compte les investissements permettant de modifier le niveau de production
— Parfois ramené par erreur au coût du combustible, alors qu’il faut en réalité prendre en compte l’usure d’utilisation, et donc une part du renouvellement du capital.
— Utiliser ce coût dans une optique de moyen ou de long terme revient à considérer que son outil de production est éternel et de capacité infinie.

Combien coûte le MWh d’une filière énergétique donnée ?

Coût économique complet
ou
Coût moyen de production

— Calculer le coût de production d’une filière : nucléaire, éolien, gaz, charbon… en prenant en compte l’ensemble des coûts directs de la filière.

— Comparer le coût des énergies entre elles

— L’estimation se faisant sur une échelle de temps longue, l’exercice est difficile et l’estimation contient une marge d’incertitude.

— Il faut prendre en compte l’évolution des coûts de production dans le temps

— Ne pas confondre entre parc existant et parc futur, car les prix évoluent dans le temps. Or le temps de programmation est long.
— Il faut tenir compte des possibilités d’intégration au réseau. Chaque énergie apporte ses avantages et ses contraintes. Le nucléaire n’est pas assez souple pour suivre la demande, tandis que certaines ENR varient en fonction de la météo.
— Il également tenir compte des effets indirects : emplois directs et induits, facture énergétique extérieure, effets sur la société et sur l’environnement.


Quelques éléments supplémentaires sur les différents types de coût

  1. Le coût marginal de court terme. Il correspond au coût de la dernière unité produite, et permet de connaître le coût à chaque instant et pour chaque outil de production. Il permet d’afficher des coûts très faibles car il ne prend en compte que les coûts variables. Il aide à optimiser la production de son réseau et à établir une politique de tarifs. Si le moyen de production possède une réserve de puissance, il sera très faible et se réduira au coût d’utilisation du capital fixe et au coût du combustible. Il n’inclut dans ce cas ni le coût des installations ni le coût de son renouvellement. Mais si le moyen de production est au maximum de sa capacité, il peut être très élevé… car produire un kWh de plus supposera alors de construire une autre centrale, juste pour produire ce kWh. Voilà pourquoi certains investisseurs privés hésitent à construire des centrales, et pourquoi la Californie s’est retrouvée plusieurs fois en black-out.
    C’est pourquoi il ne peut pas être utilisé pour comparer des énergies ou pour calculer un coût moyen.
  2. Le coût marginal de long terme. Il permet de remédier aux limites de l’indicateur précédent et estime le coût d’une unité supplémentaire, si elle était produite durablement. Il prend donc en compte les investissements en capital fixe nécessaire à la variation de la production et à sa pérennité. Il intègre le capital fixe
  3. Le coût comptable. Il prend en compte les amortissements réalisés, ce qui signifie qu’il déduit du coût la part de l’outil de production qui a déjà été payée. Il existe plusieurs variantes selon qu’on prenne ou non en compte le renouvellement du parc, certaines provisions pour charges futures, ou la rémunération du capital non amorti. Par exemple le coût comptable indiqué dans la synthèse du rapport ne prend pas en compte le renouvellement, par contre le coût comptable complet de production (C3P), utilisé par EDF et cité également dans le rapport, en tient compte.
    D’une manière générale le coût comptable baisse au fur et à mesure que le parc est amorti. Mais il ne permet pas de connaître le coût de la filière énergétique, car le jour où il faudra renouvelle le parc, il faudra à nouveau intégrer l’amortissement, et le coût augmentera substantiellement.
  4. Le coût Champsaur. Il a été mis au point pour calculer un prix de vente dans le cadre de l’obligation légale pour EDF de vendre de l’électricité à ses concurrents. En effet suite à la libéralisation du marché (loi NOME), on a estimé qu’EDF jouissait d’un avantage de compétitivité du fait qu’il possédait un outil amorti. Cela défavorise les nouveaux entrants, et empêche le fonctionnement normal de la concurrence. Il fallait donc obliger EDF à vendre à ses concurrents. À quel? tandis que le coût comptable n’inclut pas les dépenses futures pour entretien et avantagerait ces concurrents, utiliser le coût moyen donnerait un avantage à EDF puisqu’une partie des installations a déjà été amortie. Par ailleurs la Commission de Régulation de l’Énergie (CRE) estime que conformément à la loi NOME, le coût de renouvellement ne doit pas être intégré. Il fallait donc trouver un équilibre. Le coût Champsaur calcule un coût sur le moyen terme en intégrant un certain nombre d’investissements de maintenance
  5. Le coût courant économique (coût global de production) pour le parc existant. Il additionne tous les coûts passés, présents et futurs, payable par le producteur. Il permet donc de connaître le coût total de l’énergie fournie par le parc actuel pour une filière donnée. Il correspond à l’effort qu’il faudrait consentir pour reconstruire le parc à l’identique ou, comme le dit la CRE, au prix auquel un fournisseur pourrait louer le parc plutôt que le construire à l’identique. Il permet de comparer le coût des énergies déjà installées mais ne doit pas, suivant ce qui se pratique au niveau international, être utilisé pour comparer plusieurs énergies. En effet la comparaison est utile pour préparer des installations à construire, et pour cela il convient, ainsi que le stipule la Cour des Comptes, de comparer le coût des installations nouvelles.
  6. Le coût courant économique (coût global de production) pour le parc futur. C’est l’indicateur à utiliser pour comparer le coût des différentes énergies dans le cadre d’une réflexion concernant des installations nouvelles. En effet on ne reconstruit jamais un parc à l’identique dans les mêmes conditions économiques, et il peut y avoir un écart de quarante ans entre la fabrication et son renouvellement. Entre temps, le coût peut varier considérablement. Il faut donc prendre en compte le coût pour une installation qui sera construite demain, dans dix ans, ou davantage. Du fait du décalage important entre la décision et la mise en service, il convient de projeter les coûts sur l’avenir même si la décision est à prendre aujourd’hui. C’est un exercice de prospective indispensable pour préparer les choix énergétiques pour le futur.

À Retenir :

  • Pour calculer un prix de vente dans des conditions particulières (quantité, moment, type de contrat…), on peut utiliser diverses formes de coût comptable et de coût variable. Ces coûts prennent plus ou moins en compte les frais fixes et les frais de renouvellement. Ils permettent de concevoir une stratégie commerciale et une optimisation du parc. La méthode Champsaur est une variante qui permet de fixer un prix de vente réglementaire concernant les obligations de vente d’EDF.
  • Pour comparer plusieurs sources d’énergie il convient de prendre en compte la totalité des coûts sur la toute la durée de vie. Selon les cas, il faut utiliser :
  • Le Coût Courant Economique du parc existant pour comparer les filières installées.
  • Le Coût Courant Economique des installations futures pour comparer les installations nouvelles, et dans le cadre d’une réflexion sur le renouvellement du parc.
  • Il convient de prendre également en compte les effets externes ainsi que l’intégration au réseau. Les premiers permettent d’estimer les conséquences de la filière sur la société et l’environnement. C’est ce qu’on appelle les externalités. Le second se traduit par un coût pour les énergies renouvelables comme pour les énergies conventionnelles. Il correspond essentiellement aux infrastructures de transports ainsi qu’aux moyens de soutien permettant d’assurer l’équilibre offre/demande à chaque instant.

Les comparaisons hasardeuses

Un parc nucléaire éternel et de capacité infinie…

Nous devrions maintenant être capables de prendre un peu de recul par rapport aux arguments concernant les coûts.

Ainsi, nous savons que comparer le coût de production de l’éolien futur au coût comptable du nucléaire installé et amorti à 75 %, est franchement déloyal. Il n’est pourtant pas rare d’être confronté à ce type d’argument.

Cela ne coûte rien puisque c’est déjà installé, disent certains… C’est oublier qu’une centrale s’use et qu’elle devra être remplacée. Il faut donc intégrer le coût de remplacement, à moins de considérer que les centrales nucléaires soient éternelles…

Comme si cela n’était pas suffisant certains ont pu comparer le coût marginal de court terme du nucléaire, trois fois moins élevé que son coût comptable, au coût total de l’éolien. Ce qui permet de comparer un montant de 10 € pour le nucléaire avec les 180 € du coût d’achat de l’éolien offshore. C’est-à-dire un coût marginal de court terme d’un côté, et un prix de vente moyen de l’autre. Ces arguments relèvent de la manipulation ou de l’incompétence.

Cela revient à considérer que les centrales nucléaires sont non seulement éternelles, mais de capacité infinie.

En effet un coût marginal faible ne porte que sur les coûts variables pour le court terme et pour un réacteur qui a une réserve de puissance. Les considérer comme un coût moyen signifie que ces réacteurs n’ont aucune limite de puissance et ne s’usent jamais. Cela laisse rêveur…

Le coût de l’intermittence

D’autres ont tenu le raisonnement suivant : puisque la production éolienne est fluctuante, il faut comparer le coût total de l’éolien, d’un côté, au seul coût du carburant économisé sur les centrales à gaz lorsqu’il y a du vent, de l’autre. Car celles-ci doivent de toute façon être construites et entretenues en appui de la production éolienne. Plus subtil, mais erroné. Tout d’abord on a vu qu’il ne faut pas inclure seulement le coût du carburant mais également l’usure d’utilisation – donc le capital fixe — dans le coût marginal. En effet une centrale à gaz s’use beaucoup plus vite quand on s’en sert !

De plus les réserves de puissance nécessaires pour compenser les fluctuations de la production éolienne existent déjà. Car il est possible d’utiliser en partie celles qui sont déjà là pour pallier les déficiences brutales et massives qui surviennent en cas de pannes dans les filières conventionnelles, ou pour pallier la fluctuation rapide de la demande.

Or les réserves de puissance nécessaires ne s’additionnent pas mais se mutualisent en partie. C’est cela qui permet d’absorber les premiers MW éoliens sans qu’aucune capacité supplémentaire de réserve soit nécessaire. Donc sans avoir à construire de centrales à combustible fossile. Les ingénieurs du gestionnaire de réseau français, RTE (3), disent que notre réseau peut absorber jusqu’à 10 % d’énergie intermittente solaire ou éolienne, sans augmenter notablement les réserves de puissance. Nous en sommes très loin. Donc en attendant, il faut comparer le coût des énergies électriques en comparant les coûts moyens de production pour un parc futur.

→ On voit qu’il est nécessaire de bien comprendre les différents types de coût et de tenir compte de ce que disent les gestionnaires de réseau pour savoir comment comparer le coût des énergies.


L’évaluation de la Cour des Comptes

Intéressons-nous de plus près à l’évaluation faite par la Cour des Comptes.

Prendre en compte la totalité des coûts…

Ce rapport devait faire le point sur la totalité des coûts, et il l’a fait de manière assez complète.

Certes les totaux publiés, rapportés au MWh, n’incluent pas les dépenses financées sur crédits publics, mais cela ne changerait pas beaucoup le résultat. Ces dernières sont indiquées dans le rapport ainsi que la sensibilité du coût à ces paramètres, ce qui permet de calculer le coût total. Depuis quelques années on peut considérer que la taxe spécifique sur le nucléaire couvre les dépenses publiques de recherche et de régulation.

Par contre il n’est pas en mesure d’indiquer les coûts qui seraient pris en charge par la société en cas d’accident majeur. En effet l’industrie nucléaire n’est assurée que pour les accidents mineurs.

Principe de calcul du Coût Courant Economique (CCE)

Principe de calcul et résultats

La logique voudrait qu’on additionne la totalité des coûts réels sur toute la durée de vie prévue du parc, soit 40 ans, et qu’on divise ce montant par la production totale. Mais la méthode utilisée par EDF est différente et la Cour des Comptes utilise ses chiffres.

Dans la méthode employée on additionne le loyer annuel du capital fixe, le coût d’exploitation, le coût annualisé des investissements de maintenance, et on divise le tout par la production. Les résultats sont donnés dans le tableau suivant :

Source : Dumont / 23dd.fr

Coût Economique du parc nucléaire actuel,
Cour des Comptes (2012)

Intitulé

Commentaires

Montant (Md€2010)

Dépenses d’exploitation

Stable. Le coût du combustible inclut le coût de gestion des déchets.

10,084

Investissements de maintenance à partir de 2011

Prévus à la hausse pour 2011-2025, afin assurer la sécurité du parc. Inclut les conclusions provisoires post-Fukushima.

3,700

Loyer annuel du capital fixe

Totalité des frais passés et futurs payables par l’exploitant pour l’outil de production. Frais financiers calculés à un taux de 7,8 % sur toute la durée de vie. Actualisation de 5 % sur les charges futures.

8,341

Coût annuel moyen total

 

22,125

Production 2010

 

407,9 TWh

Coût moyen production 2011-2025

 

54,2 €/MWh


Un coût moyen en principe fixe… mais qui évolue

Le coût moyen est en principe un coût moyen sur toute la durée de vie, donc fixe. Mais il est difficile d’estimer ce coût sur 40 ans, et on ne connaîtra probablement le coût moyen fixe que dans… une cinquantaine d’années, après démantèlement.

Dans la méthode employée seul le coût du capital fixe est calculé une fois pour toutes, sauf à réévaluer le coût du démantèlement. Les charges d’exploitation courantes sont assez stables, par contre les investissements de maintenance peuvent évoluer selon le niveau de sécurité exigé, les failles de sécurité qui pourraient être découvertes et le comportement des centrales face au vieillissement.

Ainsi les investissements de maintenance augmenteront de 2011 à 2025 (estimations d’EDF), ce qui change les résultats. C’est pourquoi le coût de 2011 à 2025 est plus élevé que le coût jusqu’à 2010.

Enfin le taux d’utilisation peut faire varier de manière importante le coût au MWh. Toutefois, la valeur utilisée ici ( 2010) correspond à la moyenne du taux d’utilisation des réacteurs en France (74 % contre 75 % sur les dix dernières années).

Allongement de la durée de vie : conséquences sur le coût du capital et sur les dépenses de maintenance

La rémunération du capital est calculée sur toute la durée de vie à un taux 7,8 %. Or dans la réalité on ne rémunère le capital que sur une partie de la durée de vie car cela coûte moins cher : une fois le capital remboursé (c’est-à-dire amorti), on économise ainsi les frais financiers qui peuvent être lourds.

Or, pour évaluer l’effet d’une prolongation de la durée de vie à cinquante ans, EDF fournit une estimation dans laquelle les frais financiers sont payés sur la totalité des cinquante ans… Cela ne correspond manifestement pas à la réalité. Cela a pour conséquence que le loyer annuel ne baisse quasiment pas.

Dans la réalité, l’amortissement serait réalisé au plus tard au bout de 40 ans et la prolongation à cinquante ans ferait baisser le loyer annuel moyen. La Cour des Comptes a demandé à EDF une meilleure méthode mais le correctif proposé n’a pas été jugé convaincant.

C’est pourquoi elle explique que le coût courant économique prend mal en compte le prolongement de la durée de vie. Nous dirions, pour notre part, que ce n’est pas la méthode qui est en cause, mais la manière dont est calculé le coût du capital : il doit en effet être basé sur la réalité chronologique des amortissements, ce qui a un fort impact sur les frais financiers, et non sur un temps de remboursement irréel s’étalant sur toute la durée de vie.

Le prolongement du parc actuel ferait alors, d’un côté, baisser le coût du capital de manière importante et donc le coût de production (à 50 €/MWh selon nos estimations, d’après les frais de maintenance prévus par EDF), mais d’un autre, cela pourrait faire monter le coût de maintenance de manière importante, selon le degré de vieillissement constaté des centrales et selon le niveau d’exigence en matière de sécurité. Or l’effet du vieillissement d’un parc de centrale au-delà de quarante ans est mal connu, et l’ASN pourrait exiger des mesures de sécurité importante, voire empêcher le prolongement de certains réacteurs.

Coût du parc existant : une augmentation prévue pour 2011-2025

Le résultat le plus souvent repris dans la presse correspond au chiffre de 49,5 €/MWh. Il faut cependant noter que ce coût n’est plus d’actualité puisqu’il est prévu en augmentation à partir de 2011 du fait des investissements de maintenance permettant de mettre le parc aux normes de sécurité. EDF devra ainsi investir 55 Md€ d’ici 2025, ce qui revient à 1,8 Md€ en plus par an.

Le coût du nucléaire parc existant se portera alors à 54,2 €/MWh de 2011 à 2025. Si on ajoute le doublement des dépenses de démantèlement, cela ferait encore augmenter le coût à 56,9 €/MWh selon nos calculs ; hypothèse probable, au vu des estimations internationales.

Ce coût est sensiblement plus élevé que le chiffre qui a été souvent repris.

Détail de l’évaluation : les coûts pris en compte et les coûts non inclus

Source : Dumont / 23dd.fr

Coût économique du parc existant : détail

Coûts pris en compte

Total Construction

Construction de 58 réacteurs pour une puissance de 62,5 TW (hors SuperPhenix), les intérêts intercalaires prenant en compte la durée de construction.

À noter que le coût du capital est de 7,8 % sur la totalité de la durée de vie. Le coût du capital est découplé de l’actualisation, qui ne s’applique que sur les charges futures.

121 Md€, coût total

Charges d’exploitation 2010

 

9 Md€/an en 2010

Provision déchets

 

1 Md€/an

Taxes

Taxe sur les installations nucléaires (INB) : 516 M€ pour EDF (p53). Ces taxes doivent financer les organismes de régulations, et désormais couvrent les coûts de recherche. N’inclut pas la TVA et l’impôt sur les sociétés. Inclus également : post-taxe professionnelle, foncier, réseau, voies navigables, agences de bassin.

1,17 Md€/an en 2010, inclus dans charges

Investissements de maintenance

1,7 Md€ en 2010. Mais EDF prévoit une enveloppe de 50 Md€ pour 2011-2025 avec un supplément de 5 Md€ pour les dépenses post-Kukushima, soit 3,5 Md€ par an.

3,5 Md€/an de 2011 à 2025

Dépenses de démantèlement

Pour 58 réacteurs, soit 317 M€ par réacteur. Pourrait doubler selon l’Ansa. Ou quadrupler selon les opposants au nucléaire. Les standards internationaux sont beaucoup plus élevés. Ils sont actualisés à 5 %. La CdC souligne la grande incertitude qui règne sur ce point. Elle souhaite qu’EDF fasse réaliser rapidement un audit et qu’elle utilise la méthode Dampierre 2009 (p268). Cela étant, la sensibilité au coût final est de 5 %.

18,4 Md€, coût total brut

Coûts non pris en compte

Dépenses de recherches publiques : historique

Cette somme n’a pas été couverte par la taxe spécifique pour l’électricité nucléaire.

 

38 Md€ cumulés depuis 1950
(0,69 Md€/an)

Recherche et régulation : niveau actuel

La CdC estime donc que ces frais sont désormais couverts en partie par la taxe spécifique (INB).

0,64 Md€/an couvert par 0,58 Md€ de taxe

Charges futures du CEA

Charges pour démantèlement et gestion des déchets. Financé par l’État. Montant incertain.

6,8 Md€, coût total

Responsabilité civile pour accident majeur

Les producteurs sont assurés pour des accidents mineurs mais pas pour des accidents majeurs. « En cas d’accident grave, les coûts peuvent être massifs et peser très fortement sur les moyens de l’État » (CFE p287).   La CdC demande à l’État français d’appliquer les conventions internationales signées en 2004 qui augmentent sensiblement le plafond de responsabilité des opérateurs.

??

Coût de production des EPR

La Cour des Comptes a considéré qu’il était trop tôt pour estimer le coût de production d’un EPR de série. Il s’agit pourtant d’un paramètre fondamental pour l’établissement d’une stratégie énergétique. Cependant une lecture attentive du rapport nous permet d’en déduire deux estimations.

D’après le CEA, la Cour des Comptes aurait estimé le coût de l’EPR de série à 75 €/MWh

De manière surprenante en effet, le CEA affirme dans sa réponse à la préversion du rapport qui lui a été envoyé : « Le CEA a également pris bonne note que le complet remplacement du parc actuel par des centrales de 3e génération conduirait à un coût de production du MWh pour ce parc de l’ordre de 75 €2010 » (annexes, p.391).Autrement dit le rapport aurait contenu une estimation du coût des EPR de série. Était-elle présente dans la préversion et retirée par la suite ?

Une autre estimation peut de toute façon être faite à partir du coût de la puissance installée, que la Cour des Comptes donne ailleurs dans le rapport.

Elle estime ce coût à 3,7 M€ par MW pour l’EPR de Flammanville, ce qui correspond selon elle à un coût du MWh de 70 à 90 €. Or elle estime ce même coût à 3,1 M€ par MW pour les EPR de série. Si l’on suit les estimations de la Cour des Comptes, on en conclut que la sensibilité du coût de production au prix du MW construit est de 41 %. Cela permet d’en déduire ce coût pour l’EPR de série : il serait compris dans une fourchette de 65 à 83 €, ce qui est cohérent avec la valeur citée par le CEA.

→ Le rapport de la Cour des Comptes contient donc une estimation implicite du coût au MWh pour un EPR de série d’environ 75 €/MWh (de 65 à 83 €/MWh). Il est probable que cette estimation figurait dans une version intermédiaire.

Coût du démantèlement : comparaison internationale

Ce coût est difficile à estimer. La Cour des Comptes constate que les estimations internationales varient selon une fourchette importante, mais qu’elles sont toutes supérieures aux estimations françaises. Elle a effectué des extrapolations qui permettent de les comparer de manière pertinente. On constate que les différences vont de +5 % à +200 % :

Source : Dumont / 23dd.fr

Évaluation du coût du démantèlement dans le monde
Extrapolation par la Cour des Comptes pour le parc français

Méthodes utilisées par

EDF

Suède

Belgique

Japon

USA
3 méthodes

GB

Allemagne
4 méthodes

Extrapolation pour 58 réacteurs

18,1

20

24,4

38,9

27,3 - 33,4 -34,2

46

25,8 - 34,6 — 44 — 62

Coût de production : simulation en fonction de certains paramètres

Sensibilité aux paramètres

La difficulté d’évaluer certains paramètres incite à calculer la sensibilité du résultat à leur variation. La Cour des Comptes rappelle par ailleurs qu’il s’agit d’une première estimation, fondée sur des données fournies par les industriels. C’est pourquoi elle indique la sensibilité de certains paramètres , ce qui permet ainsi d’évaluer le coût en fonction d’hypothèses légèrement différentes.

(Une sensibilité de 10 % signifie qu’une augmentation de 100 % d’un paramètre correspond à une augmentation de 10 % du résultat)

Sensibilité du prix du MWh nucléaire à certains paramètres

Paramètres

Sensibilité

Coût du démantèlement

5 %

Coût du capital fixe (d’après parc existant)

45 %

Taux d’actualisation pour les charges futures

var. 1 point  (variation de 0,7 % environ

Simulations

Cela nous permet d’estimer le coût en fonction d’hypothèses un peu différentes. Nous avons ainsi fait des estimations en prenant en compte le doublement du coût du démantèlement et l’intégration des subventions publiques, ce qui nous parait constituer une hypothèse assez probable.

Prolongement du parc existant

Nous avons estimé l’effet d’un prolongement à cinquante ans en supposant le capital totalement amorti après 40 ans, puis nous avons ajouté l’augmentation des frais de maintenance qui s’ensuit, telle qu’elle est estimée dans le rapport. Rappelons que l’impact d’un prolongement sur les frais de maintenance est incertain, de même que son effet sur les conditions de sécurité.

EPR de série

Pour l’EPR de série nous rappelé certaines estimations publiées depuis 2002, puis nous avons calculé le coût du MWh selon les données contenues dans le rapport. Nous avons, comme pour le parc existant, doublé les coûts de démantèlement, puis effectué une correction en fonction du taux d’utilisation réel du parc nucléaire en France. Il semble en effet que l’estimation de la Cour des Comptes se base, comme celle d’EDF et d’Areva, sur un taux d’utilisation de 92 %, alors que le taux d’utilisation réel des réacteurs nucléaires en France est de 75 %. Cela conduit à une estimation sensiblement plus élevée, mais qui nous parait plus réaliste.

Les résultats sont regroupés dans le tableau suivant :

 
Source : Dumont / 23dd.fr

Coût du nucléaire parc existant
Estimations officielles et simulations

Année Etude

Durée de fonctionnement

Tx act.

Source / commentaire

Coût
moyen
€2010/
MWh

2012

40 ans

5

CdC 2012 jusqu’à 2010

49,5

2012

40 ans

5

(1) CdC 2012, à partir de l’année 2011

54,2

2012

40 ans

5

23dd.fr d’après (1) et coût
démantèlement doublé (probable )

56,9

2012

50 ans

5

23dd.fr d’après (1), durée
de vie 50 ans avec amortissement
sur 40 ans et frais de prolongement
de 55Md€. Sous réserve de
conditions de sécurité satisfaisantes.

50

 

Source : Dumont / 23dd.fr

Coût de production de l’EPR
Estimations officielles et simulations

Année
de
l’étude

Type
réacteur,
puissance (Mwe)

Durée
de
fonctionnement

Tx
act

Source

Coût
moy.
€201
0
/MWh

2002

EPR 1600

92 %

8

Areva

26

2003

EPR, série de 5

 

8

Greenpeace / Détente

72

2003

EPR

8760 h

8

DGEMP

33,4

2005

EPR

92 %

 

EDF

47

2010

EPR

92 %

 

AREVA 2010 (réponse à CdC)

50-60

2012

EPR

60

5

CdC 2012 citée par le CEA dans sa réponse au rapport

75

2012

EPR

92 % ?

5

(1) CdC 2012, extrapolation d’après son estimation du coût du MW installé (3,1 M€/MW)

65-84

var. 2012

EPR

92 % ?

5

23dd.fr d’après (1) et doublement coût démantèlement (hypothèse probable sous réserve que (1) se fonde sur un taux d’utilisation correct)

68-82

var. 2012

EPR

92 % à75 %

5

23dd.fr d’après (1), doublement coût démantèlement et taux d’utilisation ramené de 92 % à 75 % (hypothèse probable s’il est confirmé que l’estimation de la CdC se fonde sur un taux d’utilisation de 92 %)

83-100

 

Résultat des simulations

D’après ces estimations le coût du parc actuel se porterait à 57 €/MWh (coût de démantèlement doublé).

L’effet d’un prolongement du parc à cinquante ans ferait baisser le prix à 50 €/MWh, sous réserve de conditions de sécurité satisfaisantes et de la maîtrise des coûts de maintenance.

Le coût des EPR de série (avec doublement du coût du démantèlement et prise en compte du taux d’utilisation réel du nucléaire en France) se situerait entre 83 et 100 €/MWh.


Les recommandations de la Cour des Comptes

La Cour des Comptes relève par ailleurs un certain nombre de questions en suspens pour lesquelles elle émet des recommandations.

Évaluations post-Fukushima

Le surcoût dû à l’augmentation des frais d’exploitation consécutive aux mesures de sécurité à prendre suite à l’accident de Fukushima a en principe été inclus. Il s’agit cependant d’une estimation préalable qui doit être complétée. La mesure exacte des conséquences prendra une dizaine d’années.

à Des évaluations complémentaires et un suivi doivent être organisés au sujet des mesures post-Fukushima.

Gestion des provisions pour démantèlement

La Cour des Comptes regrette que cette gestion des provisions ne soit pas encadrée de manière plus stricte en France. La tentation est grande pour EDF de placer celles-ci dans des actifs plus rentables mais moins sûrs. Trop de dérogations se succèdent, et la crise financière de 2008 a montré les limites de ce système.

à La Cour des Comptes recommande que le dispositif encadrant la gestion des provisions fasse l’objet d’un nouvel examen, qui débouchera éventuellement sur des modifications.

Prolongation du parc ou remplacement : des orientations claires et publiques doivent être décidées

D’ici 2022, la moitié des réacteurs parviendra à la limite d’âge initialement prévue de quarante ans, soit l’équivalent de 11 EPR. L’absence de décision revient à privilégier la prolongation de la durée de vie, compte tenu du délai entre la décision et la mise en service. Pour les remplacer à quarante ans, des moyens de production auraient déjà dû être décidés. La « Programmation Pluriannuelle des Investissements » pour 2009-2012 (PPI), qui indique privilégier le scénario d’une prolongation, ne peut à elle seule tenir lieu de stratégie.

à Quelle que soit la solution retenue : prolongation de la durée de vie du parc nucléaire ou bien remplacement par de nouveaux réacteurs, par d’autres sources d’énergies et/ou par des économiques d’énergies, celle-ci nécessitera des délais et des efforts financiers et industriels très importants. Or le rythme et le montant de ceux-ci n’ont pas été programmés. Il convient de le faire de manière explicite et connue du public afin que les acteurs du secteur puissent en tenir compte.

Réactualisation régulière du rapport

Ce rapport a été fait sur la base de données complexes qui comportent de nombreuses incertitudes.

à Il convient donc de renouveller régulièrement ce travail afin de pouvoir préciser les méthodes d’évaluation, réactualiser les retours d’expérience post-Fukushima et capitaliser le savoir-faire acquis pour le présent rapport.

Accidents

à Des études sur les probabilités d’accidents nucléaires et leurs coûts devraient être développées et approfondies.

Externalités

L’importance des coûts ne doit pas conduire à négliger les externalités, c’est-à-dire les effets d’une filière sur l’économie, l’emploi, la santé et l’environnement. Ces facteurs difficiles à chiffrer doivent être pris en compte pour comparer les filières énergétiques. La Cour des Comptes attire l’attention sur la portée majeure des externalités en matière d’électricité nucléaire.

à Il est nécessaire d’encourager des études sur les externalités relatives aux diverses formes d’énergie. Il ne serait pas pertinent de prendre seulement en compte les coûts directs.


Préparer notre avenir énergétique

Fort de ces constats, la tentation est grande d’en tirer quelques leçons. Bien sûr le coût n’est pas le seul paramètre à prendre en compte, mais nous pouvons profiter de ce rapport pour nous prêter à quelques comparaisons, dans l’optique d’un prochain scénario énergétique.

Brève comparaison des différentes énergies

Combien coûtent les principales sources d’énergie électrique ? Le tableau suivant fait le point sur les prix (4) :

Source : Dumont / 23dd.fr

Coût de différentes sources d’énergie électrique

Équipement

Source

Mise en service

Durée d’utilisation

Coûts €2010/MWh

Nucléaire : EPR

DGEC 2008 / Areva

2020

92 %

50-60

Nucléaire : EPR

CdC d’après coût MW installé

 

92 % ?

65-84

Nucléaire : EPR

23dd.fr d’après CdC + doublement démantèlement + 75 % taux d’utilisation

 

75 %

83-100

Gaz naturel (CGC)

DGEC 2008

 

7000 h

63

Charbon pulvérisé, tt fumée                 

DGEC 2008

 

 

57

Éolien terrestre

DGEC 2008

2012

2400 h

75

Éolien terrestre

Areva 2008 citant Enel / E.on

2008

 

54

Éolien terrestre

DGEC 2008

2020

2400 h

63

Photovoltaïque

DGEC 2008

2012

Sud Est France
3 kWc / 300 kWc /3 MWc

407 / 288 / 232

Photovoltaïque

DGEC 2008

2020

Sud Est France
3 kWc et 300 kWc /3 MWc

266 / 209 / 174

Comparer les coûts à horizon 2020

La mise en place d’une stratégie énergétique se traduira par une montée en puissance progressive des nouvelles installations sur un temps relativement long. C’est pourquoi pour construire une telle stratégie il faut comparer les coûts à horizon 2020. Personne ne possède de boule de cristal, mais il est impératif de se fonder sur des projections. Il ne serait en effet pas plus réaliste d’utiliser les coûts d’aujourd’hui car cela reposerait sur l’hypothèse qu’ils ne varieront pas. Or, rien n’est moins sûr, puisque les technologies et les filières industrielles évoluent rapidement. Il importe cependant de se fonder sur des technologies existantes.

Coût de production : les tendances à moyen terme

Il est important de prendre en compte les tendances. Selon la Cour des Comptes le coût du nucléaire suit une pente ascendante, tandis que le prix du gaz augmentera probablement mais d’une manière difficile à évaluer.

Le prix de l’énergie éolienne terrestre quant à elle, qui est la plus compétitive des ENR électriques, suit une pente descendante qui devrait l’amener, si ce n’est déjà fait, sous le coût du gaz et du nucléaire.

Ainsi le coût du nucléaire mis en service en 2020 dépassera de 10 € à 40 € par MWh le prix de l’éolien terrestre, et dépassera probablement le prix de l’électricité au gaz ou au charbon. Il sera ainsi la plus chère des principales sources d’énergie électrique. Ce résultat, qui vient en contradiction avec ce que l’on pense généralement, provient des sources les plus officielles.

L’éolien terrestre deviendra par contre l’une des sources d’énergie électrique les moins chères, et elle l’est probablement déjà si l’on suit l’estimation fournie par Areva, qui s’est lancée récemment dans l’éolien.

L’éolien offshore restera assez cher, mais ses perspectives à plus long terme sont encourageantes, notamment en termes de capacité et de régularité. L’éolien flottant permettrait d’augmenter encore les capacités sans poser de problème d’acceptation, puisqu’il sera invisible depuis la côte. Les hydroliennes ont également une forte capacité de développement et de baisse de leur coût, d’autant que leur utilisation le long des cotes françaises permettrait une fourniture 24h/24 du fait des décalages de marées.

L’électricité photovoltaïque restera chère à produire à l’horizon 2020, mais pourra devenir compétitive en auto-consommation avant cette date, ce qui pourra susciter une explosion de la filière si les techniques de production le permettent.

Évolution des technologies au-delà de 2020

Par la suite les technologies devraient évoluer considérablement en ce qui concerne les énergies renouvelables. Des ruptures technologiques pourraient se produire, y compris en ce qui concerne le stockage de l’électricité, sur lequel les géants de l’énergie investissent actuellement. Il s’agit d’un enjeu considérable. L’évolution des technologies nucléaires est quant à elle beaucoup plus lente, et un parc d’EPR engagerait la France pour une soixantaine d’années à technologie constante.

Bien évidemment il faut prendre en compte la capacité d’une filière à couvrir la demande ; c’est sur ce point qu’il existe des incertitudes importantes au sujet des énergies renouvelables.

Éolien versus nucléaire

Au vu de ces évolutions il est tentant de comparer l’éolien au nucléaire.

S’il semble clairement avantageux d’investir dans l’éolien de manière substantielle afin de constituer une filière industrielle solide, on peut se demander si cette filière pourra compenser le nucléaire.

La capacité d’un parc éolien à couvrir la demande et à s’intégrer au réseau fait l’objet de nombreux débats. D’après Réseau de Transport d’Électricité (RTE), il est tout à fait possible d’intégrer les 25 GW de puissance éolienne visés pour 2020 (10 % de la production 2010) sans surcoût notable par rapport aux autres énergies.

On lit souvent qu’une capacité éolienne doit s’appuyer sur la construction d’une capacité thermique équivalente, ce qui ferait augmenter les émissions de GES. Mais cette idée n’est pas conforme à la réalité : d’après RTE,comme nous l’avons vu, le besoin de puissance additionnelle est négligeable pour les premiers MW installés puis croit légèrement jusqu’à 10 %. À ce niveau l’éolien possèderait une capacité de substitution à l’énergie thermique de 20 %, c’est-à-dire à peine moins que sa production moyenne. En effet jusqu’à un certain taux de pénétration, les moyens d’équilibrage nécessaires à l’éolien sont assurés en grande partie par les moyens d’équilibrages déjà présents dans le réseau. En effet de nombreux moyens de réserves existent déjà pour pallier les pannes et la fluctuation de la demande.

Au-delà de ces 10 % les moyens de réserve nécessaires pourraient être plus importants. On connait mal l’impact que cela aurait en France et RTE estime que des études complémentaires sont nécessaires.

Il est difficile de prévoir si une évolution des technologies permettra au-delà de 2020 une plus forte intégration de l’éolien sans émission de GES. La réponse dépendra des autres énergies renouvelables, des capacités de gestion du réseau et du stockage.

Le gisement total de l’éolien en France est estimé par l’Ademe à 26 GW pour le terrestre et à 30 GW pour le maritime sur pied. Cela correspond à une production de 156 TWh/an, soit 28 % de la production actuelle d’électricité.

Ceci dit nous sommes aujourd’hui très loin des 10 % visés pour 2020 et qui permettent une intégration sans émission de GES supplémentaires. Ainsi la filière peut connaître un développement très important jusqu’à cette date, dans un contexte mondial très porteur : Areva prévoit d’ici 2030 un développement de 600 GW dans le monde pour l’éolien et de 350 GW pour le nucléaire.

Ceci dit pour remplacer le parc nucléaire actuel, il ne sera pas possible de compter uniquement sur l’éolien à moyen terme, même si ce remplacement se fait de manière progressive. Pour compenser ce parc par des moyens renouvelables, il faut élaborer un scénario chiffré reposant sur un ensemble de moyens. Il serait intéressant de comparer différents scénarios reposant sur des chiffrages réalistes.

Photovoltaïque

La production photovoltaïque est encore en germe. Elle interviendra très peu dans le remplacement du parc de production actuel à horizon 2020-2030, mais au-delà elle devrait jouer un rôle croissant.

Une explosion du photovoltaïque pourrait cependant avoir lieu avant 2020, dès lors que le prix à l’autoconsommation sera au niveau du prix de vente (ce qu’on appelle la parité réseau), et que des technologies, par exemple l’impression de cellules polymères selon les principes de l’imprimerie, permettront une production en masse.

Cette filière mérite donc d’être développée. Baisser les bras au prétexte que les Chinois ont fait baisser les prix en investissant pendant quelques années revient à capituler en rase campagne. Autant mettre tout de suite la clé sous la porte. Il est normal qu’un marché en développement connaisse des soubresauts. Pourquoi les industries européennes ne pourraient-elles pas relever le défi ? Il faut laisser du temps à une filière pour se développer, dans le cadre d’une stratégie pérenne initiée par les pouvoirs publics, comme cela a été fait pour le nucléaire.

Efficacité énergétique et comportements

D’autres énergies peuvent être développées de manière substantielle, notamment la biomasse en cogénération ou la géothermie en réseau de chaleur.

Cependant l’énergie la moins chère et la plus rentable est celle que l’on ne consomme pas : une action massive en faveur de l’efficacité et du comportement permetterait, à service rendu égal ou supérieur, d’économiser un nombre considérable de MWh. Ces MWh, au lieu d’être produits, seraient économisés. Cela revient à « produire » cette énergie, non pas sous forme d’énergie brute mais sous forme de service rendu énergétique. C’est le concept défendu par l’association négaWatt.

La comparaison avec une production est économiquement pertinente puisque les travaux nécessaires à ces négaWatts engendreraient une activité économique importante et serait source d’emploi local. Il ne s’agit ainsi pas d’une forme de décroissance, mais bien d’une autre forme de croissance, plus axée sur le service rendu. Celle-ci impliquerait investissement, temps de retour, rentabilité, emploi, filière industrielle.

On a coutume de dire que cela coûtera cher. C’est pourtant le contraire qui est vrai. Bien sûr cela nécessitera des investissements importants, mais ils rapporteront davantage. La difficulté réside dans le décalage dans le temps entre les dépenses et les recettes.

Justement, les banques sont là pour ça. Puisque l’opération est sûre et rentable, il est tout à fait possible de la financer. Les pouvoirs publics doivent pour cela organiser la filière pour que les opérateurs puissent bénéficier de garanties techniques et financières. Cet investissement rapporterait de l’argent, de l’emploi, favoriserait la sécurité énergétique, assurerait le développement d’une filière industrielle et réduirait la facture extérieure, tout en réduisant les émissions de GES. Que demander de plus ?

Comment renouvelle le parc actuel ?

Notre parc nucléaire est à mi-vie. Cela signifie que compte tenu des délais entre la décision et la mise en service, c’est maintenant qu’il faut préparer son renouvellement.

Nous avons vu qu’il faudrait l’équivalent de 38 EPR pour remplacer le parc actuel. Si le parc actuel est prolongé sur cinquante ans, ce dont la possibilité n’est pas certaine, il faudrait initier la construction de 12 EPR de 2015 à 2020, c’est-à-dire demain.

Le tiers de cette puissance pourrait être assuré à meilleur coût par l’éolien. Une autre part pourrait être remplacée par un programme d’économie d’énergie.

Et le reste ?

Pourra-t-on compenser la totalité du parc nucléaire par des énergies renouvelables et des économies d’énergie ? Faudra-t-il utiliser de manière transitoire des centrales à gaz ? Faudra-t-il avoir recours à des EPR ?

C’est tout l’enjeu des scénarios énergétiques qui devront être élaborés prochainement.

Pour répondre à ces questions il est nécessaire tout d’abord de prendre en compte le facteur temps. Personne ne propose d’arrêter immédiatement tous les réacteurs, et un remplacement progressif laisserait aux énergies renouvelables le temps de gagner en maturité. La question est de savoir si ce délai sera suffisant. À long terme, rares sont ceux qui contestent la capacité des énergies renouvelables. Le problème se situe sur le moyen terme, c’est-à-dire jusqu’en 2020-2030 ou 2050.

En effet après 2060, on peut dire sans grand risque que les énergies renouvelables pourront fournir la quasi-totalité de la demande électrique. Cela signifie que la filière nucléaire n’aura alors plus d’intérêt : trop couteuse pour un bénéfice/risque défavorable.

Mais avant cette date ?

Entre aujourd’hui et 2060, certains scénarios feront apparaître que de nouvelles centrales nucléaires sont indispensables, d’autres non. Faut-il investir dans cette filière qui deviendra inutile à long terme, pour affronter entre temps le défi climatique et les incertitudes sur le prix du gaz ?

La rapidité de l’évolution des énergies renouvelables à moyen terme est sur ce point donc d’une importance capitale. L’Agence Internationale pour l’Énergie (AIE), considère que ce paramètre dépendra pour beaucoup de la volonté des pouvoirs publics.

Conclusion : quelle énergie pour demain ?

Le débat sur l’énergie ne fait que commencer et nous souhaitons qu’il se développe sur la base la plus rigoureuse et sincère possible.

Un rapport complet et utile

Dans ce contexte le rapport de la Cour des Comptes sur « les Coûts de la Filière Electronucléaire » apporte une contribution importante. Le coût est un élément parmi d’autres, mais qui il peut servir de point de repère sur un sujet qui est porteur de controverses.

Ce document très complet prend en compte l’ensemble des paramètres qu’il avait pour mission d’évaluer. Il comporte certes des limites propres au cadre de sa mission, mais il explicite les compléments qui seraient nécessaires : études sur les externalités, chiffrages complémentaires, suivi régulier, évaluation de l’ensemble des énergies.

Il contient de nombreux points qui pourront servir de base aux débats futurs et comporte des recommandations importantes. On peut certes regretter que certains montants tout compris, ainsi qu’un chiffrage autour d’un jeu d’hypothèses, ne soient pas publiés. Toutefois le rapport contient les éléments qui permettent, comme nous l’avons fait, de les calculer soi-même. Les chiffres sont cohérents avec les grandeurs attendues mais il faut noter que celles-ci ont fortement varié au cours du temps.

La Cour des Comptes est consciente que cette évaluation comporte des incertitudes, c’est pourquoi elle souhaite que cet exercice soit renouvellé régulièrement. Elle souhaite également que les risques de l’industrie nucléaire ainsi que les externalités soient mieux évalués.

Un léger coup de gomme ?

On ne trouve pas dans la version finale le chiffrage du coût au MWh des EPR de série. Cela est pourtant d’une grande importance. Mais d’après la réponse du CEA qu’on peut lire en annexe du rapport, ainsi que d’après des échos de la presse, celui-ci devait être présent dans la préversion envoyée aux parties prenantes. Si cela est vrai, cela signifie qu’un petit coup de gomme a été pratiqué avant publication. Il est possible cependant de recalculer ce montant d’après les données du rapport.

Un renouvellement à prévoir

Le rapport insiste sur l’importance du renouvellement à venir et sur la nécessité d’élaborer une programmation publique et chiffrée.

Quelle que soit la solution retenue il faudra investir massivement. Quel sera le meilleur choix, alors que les projections reposent sur un ensemble complexe de paramètres, dans un monde qui change ?

Quel sera le coût des énergies dans 10 ans ? Dans 30 ans ? Quelle sera la capacité des énergie renouvelables à fournir la demande ? L’impact social, économique et environnemental des différentes énergies ? Quelle sera la démarche la plus fructueuse en termes industriels ? Quels sont les risques de l’industrie nucléaire ? Beaucoup de questions, beaucoup d’incertitudes. Pourtant un choix devra être fait rapidement.

À La croisée des chemins

Le prochain renouvellement de notre parc de production électrique se trouve pris entre 5 évidences contradictoires :

  • Un remplacement massif de notre parc de production à brève échéance.
  • Des incertitudes sur le prix du gaz, source d’énergie d’importation.
  • Le réchauffement climatique.
  • Les doutes sur la promesse initiale du nucléaire concernant la sécurité.
  • La montée en puissance des énergies d’avenir, renouvelables, mais en partie encore immatures

Le remplacement par du nucléaire pose le problème de la sécurité et du coût de cette énergie face à la baisse de long terme du coût des renouvelables. Le remplacement par du gaz, même provisoire, pose le problème de l’approvisionnement et de la facture énergétique extérieure, ainsi que des émissions de gaz à effet de serre. Le recours aux énergies renouvelables pose la question de leur relative immaturité et de leur capacité à fournir la demande à moyen terme.

Face à cela, nous sommes donc à la croisée des chemins. Un choix d’une importance considérable devra être fait dans les deux ans qui viennent et nous engagera pour une soixantaine d’années.

Pour éclaircir ce choix un travail doit être réalisé afin de chiffrer différents scénarios de manière précise et pertinente. Trop souvent aujourd’hui, on constate que les conclusions ne sont pas guidées par les arguments, mais qu’au contraire ce sont les arguments qui sont tirés en tous sens pour justifier une position préalable. Trop de raccourcis trompeurs et d’arguments parcellaires sont usuellement utilisés. Certes il est normal de traduire ses préférences dans le choix des hypothèses privilégiées, mais on aimerait que les hypothèses soient évaluées sur des arguments sincères, et que le jeu d’hypothèse soit exhaustif.

C’est seulement dans ce cas que les scénarios pourront nous aider à construire un choix éclairé. Les pouvoirs publics ont la responsabilité de stimuler des travaux impartiaux à l’abri des pressions diverses, et de faire émerger un large débat, qui nous parait nécessaire.

Celui-ci devra être à destination de tous les publics, pendant une période de temps suffisamment longue. La société civile, c’est-à-dire nous tous, avons la responsabilité de le faire vivre.

Notre avenir énergétique dépend que ce que nous allons décider.

Cela vaut la peine d’y consacrer un peu de temps et de cette précieuse énergie dont la source est située quelque part entre nos deux oreilles. Cette source est la meilleure qui soit : plus on l’utilise, plus elle est abondante. C’est sans doute là et nulle part ailleurs que se trouve la solution. Cette énergie a également besoin de volonté politique – c’est-à-dire la volonté de tous – pour être efficace.

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Références
Coût Nucléaire
Filière nucléaire, Divers
Energies Renouvelables, Réseau Electrique