Les différents types de coûts : choisir le calcul adapté

Coût comptable, coût Champsaur, coût de production existant, coût installations futures : quel indicateur utiliser ?

Il règne une grande confusion dans l’utilisation des indicateurs lors des débats sur l’énergie. La porte est alors grande ouverte aux simplifications abusives et aux manipulations.

Il existe plusieurs façons de calculer les coûts, parce que la question posée peut être différente.

Veut-on calculer le coût de production en tenant compte de la part des équipements payés ?
Il faut utiliser le coût comptable complet


Veut-on calculer le coût de production de la prochaine unité, pour un équipement donné et à un moment précis ?
Il faut utiliser le coût marginal de court terme


Veut-on connaître le coût d’une filière énergétique  ?

Il faut utiliser le coût moyen de production, que le rapport de la Cour des Comptes appelle le coût courant économique. Seul ce type de calcul permet de comparer des énergies entre elles.

Voici un tableau qui récapitule les différents types de coût :

 

Source : Dumont / 23dd.fr

Quel type de coût pour répondre à quelle question ?

Question posée

Type de coût

Fonction

Variantes / remarques

Confusions à éviter

À quel prix moyen dois-je vendre aujourd’hui pour assurer l’équilibre des comptes (ou un bénéfice) sur le long terme ?

Coût comptable complet

Permet de calculer un coût de production moyen compte tenu des équipements payés, et éventuellement des investissements à faire pour assurer la pérennité de la production

Le coût varie selon que l’on prend en compte ou non des coûts futurs de maintenance ou de renouvellement de l’outil de production. Plusieurs variantes selon l’échelle de temps à laquelle on se réfère.

— Ne permet pas de connaître le coût moyen de production
— Ne permet pas de comparer le coût des filières énergétiques
— Dépend de l’historique des amortissements
— Évolue en fonction de la situation dans la durée de vie de l’installation.

Puis-je pratiquer des tarifs spéciaux sur le court terme ?

Combien me coûte à chaque instant un kWh produit dans chaque centrale ? Comment optimiser l’utilisation de mon parc de production  ?

Coût marginal de court terme (ou coût variable)

— Calculer un prix de vente à court terme

— gérer le réseau de ses outils de production.

— Ne pas confondre avec le coût marginal de long terme, qui prend en compte le renouvellement du capital.
— Les chiffres peuvent être très bas le coût du capital n’est pas pris en compte.
— Il dépend du moment et de chaque outil à la minute près puisqu’il dépend des capacités immédiatement disponibles.

— Confusion très courante avec le coût marginal de long terme, qui prend en compte les investissements permettant de modifier le niveau de production
— Parfois ramené par erreur au coût du combustible, alors qu’il faut en réalité prendre en compte l’usure d’utilisation, et donc une part du renouvellement du capital.
— Utiliser ce coût dans une optique de moyen ou de long terme revient à considérer que son outil de production est éternel et de capacité infinie.

Combien coûte le MWh d’une filière énergétique donnée ?

Coût économique complet
ou
Coût moyen de production

— Calculer le coût de production d’une filière : nucléaire, éolien, gaz, charbon… en prenant en compte l’ensemble des coûts directs de la filière.

— Comparer le coût des énergies entre elles

— L’estimation se faisant sur une échelle de temps longue, l’exercice est difficile et l’estimation contient une marge d’incertitude.

— Il faut prendre en compte l’évolution des coûts de production dans le temps

— Ne pas confondre entre parc existant et parc futur, car les prix évoluent dans le temps. Or le temps de programmation est long.
— Il faut tenir compte des possibilités d’intégration au réseau. Chaque énergie apporte ses avantages et ses contraintes. Le nucléaire n’est pas assez souple pour suivre la demande, tandis que certaines ENR varient en fonction de la météo.
— Il également tenir compte des effets indirects : emplois directs et induits, facture énergétique extérieure, effets sur la société et sur l’environnement.


Quelques éléments supplémentaires sur les différents types de coût

  1. Le coût marginal de court terme. Il correspond au coût de la dernière unité produite, et permet de connaître le coût à chaque instant et pour chaque outil de production. Il permet d’afficher des coûts très faibles car il ne prend en compte que les coûts variables. Il aide à optimiser la production de son réseau et à établir une politique de tarifs. Si le moyen de production possède une réserve de puissance, il sera très faible et se réduira au coût d’utilisation du capital fixe et au coût du combustible. Il n’inclut dans ce cas ni le coût des installations ni le coût de son renouvellement. Mais si le moyen de production est au maximum de sa capacité, il peut être très élevé… car produire un kWh de plus supposera alors de construire une autre centrale, juste pour produire ce kWh. Voilà pourquoi certains investisseurs privés hésitent à construire des centrales, et pourquoi la Californie s’est retrouvée plusieurs fois en black-out.
    C’est pourquoi il ne peut pas être utilisé pour comparer des énergies ou pour calculer un coût moyen.
  2. Le coût marginal de long terme. Il permet de remédier aux limites de l’indicateur précédent et estime le coût d’une unité supplémentaire, si elle était produite durablement. Il prend donc en compte les investissements en capital fixe nécessaire à la variation de la production et à sa pérennité. Il intègre le capital fixe
  3. Le coût comptable. Il prend en compte les amortissements réalisés, ce qui signifie qu’il déduit du coût la part de l’outil de production qui a déjà été payée. Il existe plusieurs variantes selon qu’on prenne ou non en compte le renouvellement du parc, certaines provisions pour charges futures, ou la rémunération du capital non amorti. Par exemple le coût comptable indiqué dans la synthèse du rapport ne prend pas en compte le renouvellement, par contre le coût comptable complet de production (C3P), utilisé par EDF et cité également dans le rapport, en tient compte.
    D’une manière générale le coût comptable baisse au fur et à mesure que le parc est amorti. Mais il ne permet pas de connaître le coût de la filière énergétique, car le jour où il faudra renouvelle le parc, il faudra à nouveau intégrer l’amortissement, et le coût augmentera substantiellement.
  4. Le coût Champsaur. Il a été mis au point pour calculer un prix de vente dans le cadre de l’obligation légale pour EDF de vendre de l’électricité à ses concurrents. En effet suite à la libéralisation du marché (loi NOME), on a estimé qu’EDF jouissait d’un avantage de compétitivité du fait qu’il possédait un outil amorti. Cela défavorise les nouveaux entrants, et empêche le fonctionnement normal de la concurrence. Il fallait donc obliger EDF à vendre à ses concurrents. À quel? tandis que le coût comptable n’inclut pas les dépenses futures pour entretien et avantagerait ces concurrents, utiliser le coût moyen donnerait un avantage à EDF puisqu’une partie des installations a déjà été amortie. Par ailleurs la Commission de Régulation de l’Énergie (CRE) estime que conformément à la loi NOME, le coût de renouvellement ne doit pas être intégré. Il fallait donc trouver un équilibre. Le coût Champsaur calcule un coût sur le moyen terme en intégrant un certain nombre d’investissements de maintenance
  5. Le coût courant économique (coût global de production) pour le parc existant. Il additionne tous les coûts passés, présents et futurs, payable par le producteur. Il permet donc de connaître le coût total de l’énergie fournie par le parc actuel pour une filière donnée. Il correspond à l’effort qu’il faudrait consentir pour reconstruire le parc à l’identique ou, comme le dit la CRE, au prix auquel un fournisseur pourrait louer le parc plutôt que le construire à l’identique. Il permet de comparer le coût des énergies déjà installées mais ne doit pas, suivant ce qui se pratique au niveau international, être utilisé pour comparer plusieurs énergies. En effet la comparaison est utile pour préparer des installations à construire, et pour cela il convient, ainsi que le stipule la Cour des Comptes, de comparer le coût des installations nouvelles.
  6. Le coût courant économique (coût global de production) pour le parc futur. C’est l’indicateur à utiliser pour comparer le coût des différentes énergies dans le cadre d’une réflexion concernant des installations nouvelles. En effet on ne reconstruit jamais un parc à l’identique dans les mêmes conditions économiques, et il peut y avoir un écart de quarante ans entre la fabrication et son renouvellement. Entre temps, le coût peut varier considérablement. Il faut donc prendre en compte le coût pour une installation qui sera construite demain, dans dix ans, ou davantage. Du fait du décalage important entre la décision et la mise en service, il convient de projeter les coûts sur l’avenir même si la décision est à prendre aujourd’hui. C’est un exercice de prospective indispensable pour préparer les choix énergétiques pour le futur.

À Retenir :

  • Pour calculer un prix de vente dans des conditions particulières (quantité, moment, type de contrat…), on peut utiliser diverses formes de coût comptable et de coût variable. Ces coûts prennent plus ou moins en compte les frais fixes et les frais de renouvellement. Ils permettent de concevoir une stratégie commerciale et une optimisation du parc. La méthode Champsaur est une variante qui permet de fixer un prix de vente réglementaire concernant les obligations de vente d’EDF.
  • Pour comparer plusieurs sources d’énergie il convient de prendre en compte la totalité des coûts sur la toute la durée de vie. Selon les cas, il faut utiliser :
  • Le Coût Courant Economique du parc existant pour comparer les filières installées.
  • Le Coût Courant Economique des installations futures pour comparer les installations nouvelles, et dans le cadre d’une réflexion sur le renouvellement du parc.
  • Il convient de prendre également en compte les effets externes ainsi que l’intégration au réseau. Les premiers permettent d’estimer les conséquences de la filière sur la société et l’environnement. C’est ce qu’on appelle les externalités. Le second se traduit par un coût pour les énergies renouvelables comme pour les énergies conventionnelles. Il correspond essentiellement aux infrastructures de transports ainsi qu’aux moyens de soutien permettant d’assurer l’équilibre offre/demande à chaque instant.

Les comparaisons hasardeuses

Un parc nucléaire éternel et de capacité infinie…

Nous devrions maintenant être capables de prendre un peu de recul par rapport aux arguments concernant les coûts.

Ainsi, nous savons que comparer le coût de production de l’éolien futur au coût comptable du nucléaire installé et amorti à 75 %, est franchement déloyal. Il n’est pourtant pas rare d’être confronté à ce type d’argument.

Cela ne coûte rien puisque c’est déjà installé, disent certains… C’est oublier qu’une centrale s’use et qu’elle devra être remplacée. Il faut donc intégrer le coût de remplacement, à moins de considérer que les centrales nucléaires soient éternelles…

Comme si cela n’était pas suffisant certains ont pu comparer le coût marginal de court terme du nucléaire, trois fois moins élevé que son coût comptable, au coût total de l’éolien. Ce qui permet de comparer un montant de 10 € pour le nucléaire avec les 180 € du coût d’achat de l’éolien offshore. C’est-à-dire un coût marginal de court terme d’un côté, et un prix de vente moyen de l’autre. Ces arguments relèvent de la manipulation ou de l’incompétence.

Cela revient à considérer que les centrales nucléaires sont non seulement éternelles, mais de capacité infinie.

En effet un coût marginal faible ne porte que sur les coûts variables pour le court terme et pour un réacteur qui a une réserve de puissance. Les considérer comme un coût moyen signifie que ces réacteurs n’ont aucune limite de puissance et ne s’usent jamais. Cela laisse rêveur…

Le coût de l’intermittence

D’autres ont tenu le raisonnement suivant : puisque la production éolienne est fluctuante, il faut comparer le coût total de l’éolien, d’un côté, au seul coût du carburant économisé sur les centrales à gaz lorsqu’il y a du vent, de l’autre. Car celles-ci doivent de toute façon être construites et entretenues en appui de la production éolienne. Plus subtil, mais erroné. Tout d’abord on a vu qu’il ne faut pas inclure seulement le coût du carburant mais également l’usure d’utilisation – donc le capital fixe — dans le coût marginal. En effet une centrale à gaz s’use beaucoup plus vite quand on s’en sert !

De plus les réserves de puissance nécessaires pour compenser les fluctuations de la production éolienne existent déjà. Car il est possible d’utiliser en partie celles qui sont déjà là pour pallier les déficiences brutales et massives qui surviennent en cas de pannes dans les filières conventionnelles, ou pour pallier la fluctuation rapide de la demande.

Or les réserves de puissance nécessaires ne s’additionnent pas mais se mutualisent en partie. C’est cela qui permet d’absorber les premiers MW éoliens sans qu’aucune capacité supplémentaire de réserve soit nécessaire. Donc sans avoir à construire de centrales à combustible fossile. Les ingénieurs du gestionnaire de réseau français, RTE (3), disent que notre réseau peut absorber jusqu’à 10 % d’énergie intermittente solaire ou éolienne, sans augmenter notablement les réserves de puissance. Nous en sommes très loin. Donc en attendant, il faut comparer le coût des énergies électriques en comparant les coûts moyens de production pour un parc futur.

→ On voit qu’il est nécessaire de bien comprendre les différents types de coût et de tenir compte de ce que disent les gestionnaires de réseau pour savoir comment comparer le coût des énergies.