Quels sont réellement les coûts du nucléaire ? Le rapport de la Cour des Comptes permet de faire le point dans un contexte où les évaluations sont très variables, parfois fantaisistes et marquées par l'idéologie. Comment calculer le coût du nucléaire ? Comment comparer le coût du nucléaire avec les autres sources d'énergie ? Quelles sont les perspectives ? Au moment où nous devons mettre en place le renouvellement du parc électrique français pour les cinquante prochaines années, en plein défi climatique, un choix délicat s'impose. Il est urgent de s'informer au-delà d'un simple tweet ou d'un pugilat télévisuel. A tête reposée...
Un rapport bienvenu
Un rapport attendu ! D'un coté le principal argument des anti-nucléaires est le risque pour la santé et l’environnement. De l'autre, on vante son coût modéré et sa capacité colossale ...
Pourtant, l'argument du coût est régulièrement remis en cause par ses opposants. Selon eux, des calculs erronés et des coûts cachés minimisent son niveau réel. Pendant ce temps certains inconditionnels du nucléaire ont parfois vantés des coûts ridiculement bas.
Le rapport de la cour des comptes permet de faire le point. En voici un compte-rendu complet. Il permettra de comprendre les différents types de coût et la manière de les utiliser de manière pertinente, de réflechir sur la manière de comparer le nucléaire avec les autres énergies, et d'en savoir plus sur les perspectives de renouvellement du parc électrique.
Aujourd'hui, il est impératif d'opérer des choix fondamentaux pour la fourniture électrique des cinquantes prochaines années, car notre parc électrique doit être renouvelé. Nous sommes à la croisée des chemins : relancer le nucléaire pour cinquante ans ? Lancer les renouvelables ? En plein défi climatique, un choix raisonné s'impose. Il est nécessaire pour cela de s'informer. En allant un peu au-delà, pardon, de la lecture d'un simple tweet ...
En finir avec les déclarations fantaisistes…
Le rapport de la Cour des Comptes (CdC), « Les coûts de la filière électronucléaire » (CFE) (1) devrait permettre une discussion sur des bases plus claires.
Curieusement lors de sa parution, de nombreux défenseurs et opposants au nucléaire se sont félicité des chiffres publiés et le rapport a été apprécié par l'ensemble des acteurs - à quelques réserves près. Pourquoi ? Ce document de près de quatre-cents pages mérite une analyse approfondie et est l'occasion d'apprendre plusieurs choses intéressantes.
La question du coût est à la fois controversée et complexe. Elle fait intervenir de nombreux paramètres et plusieurs modalités de calcul. Ces difficultés techniques, ajoutées au caractère passionnel du nucléaire, n'ont pas permis jusqu'à présent un débat aisé. Même avec la publication de ce rapport, les chiffres qui sont cités, parfois par des "experts" reconnus, n'est pas toujours pertinente.
Cette question doit pourtant être traitée avec sérieux pour plusieurs raisons : le choix à faire concernant le renouvellement ou non du parc de réacteurs nucléaires est urgent, vu l'âge de celui-ci. Or, ce choix engagera notre avenir énergétique pour une soixantaine d’années.
Pour bien en comprendre les enjeux, il convient tout d’abord de placer cette question dans son contexte. Petit détour historique.
Les promesses du nucléaire : pari tenu ?
Dans les années cinquante, l’énergie nucléaire a été présentée comme une source d’énergie inépuisable et bon marché qui allait ouvrir une ère de prospérité et d’énergie quasi gratuite, pour un risque ridiculement faible. Tellement bon marché que relever les compteurs reviendrait trop cher !
Cette espérance était partagée par de nombreux scientifiques. Le Général de Gaulle, sur ces informations, a alors lancé un vaste programme d’investissement en France. Il en allait de notre indépendance énergétique.
Ce vaste plan qui engageait la stratégie énergétique de la France sur une quarantaine d’années a été entrepris sur la foi de ces promesses.
Qu’en est-il aujourd’hui ?
Le nucléaire a tenu une partie de ses promesses
Il permet de produire une quantité massive d’électricité à l’abri des aléas commerciaux et géopolitiques de l’approvisionnement en gaz et permet de se passer du charbon. Le pétrole, quant à lui, n’est plus utilisé pour produire de l’électricité, sauf pour un appoint en période de pointe.
Sa pollution est difficile à évaluer, mais elle permet d’éviter des pollutions bien visibles issues des combustibles fossiles. De plus elle n’émet quasiment pas de gaz à effet de serre.
Son coût reste modéré bien qu’il soit l’objet de polémiques. Il est en tous cas à l’abri du prix des énergies fossiles. Ceci dit il a tendance à augmenter.
Le nucléaire n’a tenu que partiellement ses promesses
Les risques du nucléaire
Les promoteurs du nucléaire avaient certifié que les risques étaient ridiculement faibles. Mais des accidents graves sont survenus et ont remis en cause cette idée. Three Mile Island et Tchernobyl ont marqué les populations et les décideurs. Le temps passa sur les mémoires jusqu’à l’accident de Fukushima, survenu dans un pays connu pour son excellence technologique et sa maîtrise des risques environnementaux. Cet accident survient alors que le nucléaire civil cumule une expérience de 14 400 années d’exploitation (14 400 années.réacteurs).
Il est trop tôt pour mesurer pleinement les conséquences, mais d’ores et déjà 2000 km² de zone habitée ont dû être abandonnés pour plusieurs années, en laissant habitations, biens, animaux, cultures, usines, infrastructures. Et par chance, le vent soufflait du bon côté.
Les calculs théoriques annonçaient un risque d’un accident pour un million d’années.réacteurs, ce qui correspond à une probabilité de 1 % jusqu’à aujourd’hui ; or, il y a eu 3 accidents dont 2 avec émissions massives. Si on calculait le risque d’après la fréquence constatée, sur un parc sécurisé après Tchernobyl, la probabilité d’un accident en France dans les 30 prochaines années, qui rendrait une région inhabitable pendant de nombreuses années, serait de 15 %, soit une chance sur six (voir tableau). Cela revient un peu à jouer à la roulette russe avec une région de 4 000 km². Bien sûr il peut s’agir d’une série noire, mais dans ce cas, cela prouve qu’une série noire est possible. Cependant cela est peu probable. La confiance que l’on peut accorder à ce type de calcul est sans doute relativement faible, mais elle est plus importante que celle qu’on peut accorder aux calculs a priori, et qui au vu des accidents constatés, sont d’un point de vue mathématique, très probablement erronés.
Il est donc clair que sur le plan de la sécurité, le nucléaire n’est pas à la hauteur de ses promesses. L’estimation qui a permis de lancer la filière nucléaire était donc très probablement fausse. Ses avantages, en particulier son avantage coût, permettra-t-il de compenser ce risque ?
Risques d’accidents nucléaires : |
|||
Région |
Intitulé |
Fréquence (accidents/réact-eur.année) |
Probabilité |
Monde |
Des origines à nos jours, d’après les calculs avant construction |
1/1 000 000 |
1 % |
Monde |
Des origines à nos jours, d’après accidents constatés avec émissions importantes vers l’extérieur |
2/14 400 |
94 % |
Monde |
Calcul d’après les données de 1986 après Tchernobyl , concernant un accident grave durant les 25 années suivantes |
2/4000 |
99 % |
France |
Accident nécessitant l’évacuation d’une région, durant les trente prochaines années |
2/14 400 |
22 % |
France |
Idem, sur un parc avec sécurité renforcée post-Tchernobyl, durant les trente prochaines années |
1/10 500 |
15 % |
France |
Idem, sécurité renforcée après Fukushima |
?? |
?? |
Indépendance énergétique
Le nucléaire fournit 70 % de l’électricité consommée et 75% de l’électricité produite. Cela ne représente toutefois que 17 % de notre énergie finale, et nous restons malgré lui dépendants à 42 % du pétrole et à 22 % du gaz (2). Par ailleurs les transports dépendent presque entièrement de l’or noir. La promesse d’indépendance énergétique et les indicateurs officiels qui s’y rapportent n’étaient pas pertinents.
Gaz à effets de serre
Ce n’était pas une promesse initiale puisque l’enjeu n’était pas connu, toutefois il est clair que le nucléaire permet d’éviter le recours à des énergies fossiles, le gaz naturel en particulier. Pour donner un ordre de grandeur, si on remplaçait toutes les centrales nucléaires par des centrales à gaz, les émissions de CO2 augmenteraient de 172 Gt de CO2 en France, soit 39 %. Bien sûr aucun partisan d’une sortie du nucléaire ne propose un remplacement entièrement par du gaz. Mais il s’agit d’un élément à prendre en compte pour situer le nucléaire face à d’autres énergies.
Un parc de production à renouveller
Le parc des réacteurs est à mi-vie et le processus de remplacement des réacteurs actuels doit être engagé. En fait, il aurait déjà dû commencer pour la durée de vie prévue des réacteurs de quarante ans. Par exemple il aurait fallu prévoir la mise en service de 12 équ. EPR entre 2016 et 2020, et donc prendre une décision il y a cinq ans, compte tenu d’un délai minimum entre la décision et la mise en service (voir graphique).
Si on prolongeait les centrales actuelles jusqu’à une durée de vie de 50 ans, il faudrait commencer la mise en route de 12 équ. EPR entre 2016 et 2020 et de 15 entre 2020 et 2025, ce qui est considérable.
Ce renouvellement peut se faire de différentes manières, mais quel que soit le scénario retenu, sa réalisation prendra du temps et implique qu’une décision soit prise rapidement. Il est donc indispensable de concevoir bientôt un projet global.
Les technologies concernant les énergies renouvelables progressent rapidement alors que la construction d’un nouveau parc nucléaire nous engage pour soixante ans. Avant même que ces moyens de production soient mis en service, il est possible qu’ils soient déjà dépassés, et qu’ils le soient davantage au cours des soixante années qui suivront. Il est donc tentant d’examiner la chose à tête reposée, en refusant les caricatures souvent utilisées dans ce domaine.
Le coût étant l’un des principaux arguments utilisés, il est utile d’utiliser le rapport de la Cour des Comptes afin de faire le point sur cette question.