Réfutabilité, falsifiabilité et vérification scientifique

Le principe de réfutabilité

Le propre de la certitude scientifique est, paradoxalement, d’être réfutable. Réfutable, certes, mais pas réfutée. Qu’est-ce que cela veut dire ?

Nous devons cette idée au philosophe des sciences Karl Popper. Elle a été énoncé en 1934 et a été ensuite largement reprise par les scientifiques. Popper souhaitait établir un critère afin de pouvoir distinguer le caractère solide de la connaissance scientifique avec les croyances ou avec des connaissances qui paraissaient être des sciences, mais qui en réalité ne pouvaient pas bénéficier de sont degré de confiance. Cela permettait de répondre à la question : Qu’est-ce qui distingue le savoir scientifique de la croyance ?

 

Intuitivement on pourrait penser que la force des sciences réside dans leurs nombreuses possibilités de vérification. Eh bien, selon Popper, c’est tout le contraire. Une théorie est de nature scientifique s'il est possible de la contredire par une simple expérience. Et cette théorie est valide scientifiquement, c'est-à-dire sûr au moins à 90%, si les nombreuses expériences qu’on a menées n'ont pas réussi à la réfuter.

Généralement les expériences scientifiques cherchent à la fois à réfuter et à vérifier une hypothèse. Par exemple les hypothèses scientifiques qui permettent de quantifier une relation de cause à effet sont très faciles à réfuter ou à confirmer. Typiquement, il suffira de calculer la réponse à une cause donnée, de faire plusieurs expériences dans lesquelles ont fait varier certains paramètres, et ont vérifie si l'effet mesuré est bien en accord avec la théorie. Si les réponses sont précisément en accord avec la théorie, il y a de fortes chances pour que celle-ci contienne des éléments de vérité (1). Il faudrait un hasard extraordinaire pour que, comme par hasard, les résultats soient toujours en accord avec l'hypothèse sans que celle-ci contienne du vrai. Certes des causes connexes peuvent jouer, mais même dans ce cas, un élément de vérité a bien été établi. Les scientifiques évacuent l'hypothèse du hasard "extraordinaire" grâce au principe du rasoir d'Ockham : par exemple un malin génie ou des petits hommes verts ou gris qui voudraient nous faire croire à une fausse loi physique (paranoïa complotiste), ou un Dieu qui nous cacherait ses véritables desseins (croyance religieuse).. Reste alors la connaissance scientifique.

Une théorie qui a résisté à de nombreuses tentatives de "réfutation-vérification" en ressort plus forte. A un moment donné, après avoir testé toutes les possibilités de biais, un consensus se forme au sein de la communauté scientifique.

On peut rapprocher cela du fameux "doute méthodique" ou "scepticisme méthodique" de Descartes. Il ne s'agit pas d'un doute négatif, mais d'une attitude positive de recherche de la vérité. Pour recevoir quelque chose comme vrai, nous dit-il dans la première règle de sa méthode, il faut apauravant avoir testé par tous les moyens disponibles la possibilité de la mettre en doute. Mais une fois qu'une idée, claire et distincte, a passé avec succès cette épreuve du doute, elle peut être reçue au rang de vérité, et peut servir à bâtir d'autres connnaissances.

Les théories para-scientifiques

Certains types de théorie sont par nature impossibles à réfuter. Elles fonctionnent à tous les coups ! Mais cette force, comme le disait Karl Popper, est en réalité leur faiblesse. C’est le cas lorsqu’il s’agit d’interpréter une réalité cachée ou un complot. Toutes les fois qu’on prouve qu’il n’y a pas complot, le complotiste vous dira que c’est la preuve que le complot est bien caché. De même pour la psychanalyse freudienne ou la religion : si la réalité contredit la théorie, le croyant vous dira que les voies du seigneur sont impénétrables, et l’analyste vous dira que l’inconscient masque toujours ses intentions. C’est parfois le cas si une théorie n’est pas en mesure de faire des prévisions vérifiables. La question des sciences humaines reste ouverte. Cela ne signifie pas que ces théories sont fausses. Cela veut dire qu’elles ne sont pas du domaine de la science, ou en tout cas des sciences dites "exactes".

Réfutabilité théorique et pratique

Certaines hypothèses scientifiques ne sont pas vérifiables à un moment donné du fait de l’impossibilité technique de construire une expérience. Mais si elles sont vérifiables en soi, par exemple en imaginant une expérience qu’on pourra un jour réaliser, elles sont scientifiques. Toutefois elles resteront des hypothèses tant qu’on ne pourra pas les expérimenter. Cela a été le cas pour la planète Uranus, pour l’électron, pour certains aspects de la théorie de la relativité générale, et cela a été le cas pour la théorie de l’effet de serre.

La recherche scientifique

Dans le cours de la recherche, il arrive que des résultats ne soient pas définitifs. Ils semblent aller dans un sens ou dans l’autre, mais il reste encore beaucoup de paramètres mal connus. C’est là qu’ont lieu les controverses scientifiques, à la frontière entre la connaissance et l’ignorance. Puis à un moment, des résultats très convaincants l’emportent, un consensus se forme, la théorie s’affirme. Et la recherche se tourne vers des aspects plus pointus de celle-ci

En résumé :

De même qu’il n’est point d’éloge flatteur sans la liberté de critiquer, il n’est point de certitude sans la possibilité de la réfuter. D’où la méthode scientifique : les tentatives d’invalidation par les confrères selon des méthodes logiques et expérimentales sont les bienvenues. Si elles aboutissent, elles feront avancer la science. De même si elles échouent : elles conforteront la théorie et apporteront de nouveaux éléments. Le consensus s’installe lorsqu’après avoir tenté d’invalider par tous les moyens honnêtes une théorie, celle-ci résiste à toutes les expériences et en sort renforcée. Mais parfois, l’opinion résiste encore longtemps. C'est que l'opinion n'obéit pas aux mêmes régles que la connaissance rationelle.

 

Note : ce principe est parfois appelé en français "falsifiabilité". Il s'agit d'une mauvaise traduction du terme anglais "falsifiability". La bonne traduction, plus conforme au bon sens, est "réfutabilité".

 

Voir aussi :

- Consensus scientique et opinion populaire

- Méthode scientifique, scepticisme scientifique (à venir)

 

Notes

  (1)  « Un système doit être tenu pour scientifique seulement s'il formule des assertions pouvant entrer en conflit avec certaines observations. Les tentatives pour provoquer des conflits de ce type, c'est-à-dire pour réfuter ce système permettent en fait de le tester. Pouvoir être testé, c'est pouvoir être réfuté, et cette propriété peut donc servir, de la même manière, de critère de démarcation » Karl R. Popper, La Science : conjectures et réfutations (1953) in Conjectures et réfutations, Payot, 1979, pp. 376-378.

 

Références :

Karl Popper : Logique de la découverte scientifique (titre original : Logik der Forschung ; The Logic of Scientific Discovery, 1934)

 

{jcomments on}